Salut la compagnie!
Aujourd'hui, on va parler d'un film méconnu, et mal aimé, du barbu:
Le bûcher des vanités.
(Accessoirement, j'aurais bien dit tout le bien que je pense du Sisters mentionné dans les posts ci-dessus, mais bon on peut pas être au four et à vapeur)
En 1990, Brian De Palma est lessivé et déprimé. Il sort du tournage éprouvant de
Casualties of War (
Outrages), film qui lui tient à cœur mais qui a été très mal accueilli, aussi bien par la critique que le public (des soldats ricains qui violent et tuent une jeune vietnamienne, ça attire pas les foules).
Du coup, lorsque le producteur Peter Guber (qui a entre autres bossé sur les
Batman de Burton) vient lui proposer le script de l’adaptation du
Bûcher des vanités (roman du célébré Tom Wolfe), il saute sur l’occasion de travailler sur un matériau qui ne vient pas de lui, et qu’il peut donc approcher de façon plus décontractée. Il retravaille néanmoins le scénario avec son auteur Michael Cristofer (scénariste des
Sorcières d’Eastwick).
Sherman McCoy (Tom Hanks) est courtier à New York. Ça marche plutôt bien pour lui, voire très bien : il est plusieurs fois millionnaire, vit dans une baraque immense, exerce un métier qui lui permet de se sentir maître du monde, et compense l’échec de son mariage par une relation des plus moites avec Maria Ruskin (Mélanie Griffith), femme d’un homme d’affaire très vieux et très occupé (et nymphomane (je veux dire que Maria est nymphomane, pas son mari vieux et fatigué – faites un peu attention, merde :x !)).
Malheureusement pour lui, tout part en couilles le jour où, en chemin pour leur petit nid d’amour, Maria, au volant de la Mercedes de McCoy, renverse involontairement (et met ainsi dans le coma) un jeune Black légèrement agressif, qui s’approchait un peu trop près de la voiture… Après qu’ils aient pris la fuite, Sherman a des remords et songe à prévenir la police, mais Maria le convainc que tout ça n’est pas très grave.
Manque de bol, ça va vite le devenir, dès lors que vont s’en mêler un Procureur Général aux ambitions politiques affirmées, un curé Black grande gueule qui aime les médias, et ces derniers qui le lui rendent bien…
Manque de pot aussi pour De Palma : comme le précédent, son film fera un bide retentissant, et sera démoli par la critique. En partie, sans doute, du fait de l’aura dont jouit aux Etats-Unis l’auteur du bouquin original.
Mais alors que des films comme
Scarface ou
Blow Out, eux aussi pas mal conspués à l’époque, ont depuis été réhabilités au point de devenir des classiques,
Le bûcher des vanités continue de se trimballer sale réputation (j’ai pécho le dvd pour 5 euros à Carrouf).
C’est pourtant et amha une comédie noire assez jouissive : quoique paraît-il légèrement édulcorée par rapport au roman (De Palma a en fait rajouté un personnage de juge honnête et vertueux, interprété par Morgan Freeman), l’histoire est d’une causticité réjouissante (c’est-à-dire drôle sans être balourde), et les acteurs s’en donnent à cœur joie sans avoir à cabotiner (la mise en scène le fait pour eux). Le rôle du golden boy un peu con con va comme un gant à Tom Hanks, et l’ironie fatiguée de Bruce Willis colle bien à Peter Fallow, son personnage de journaliste raté. Quant à Mélanie Griffith… ceux qui ont vu le film sauront quoi en penser
Mais
Le bûcher des vanités est également terriblement pertinent dans sa façon de montrer comment différents \"champs sociaux\" entrent en interférence.
D’abord quand Sherman et Maria se trompent d’univers (de film !), en passant de leur tour d’ivoire du Manhattan huppé aux bas-fonds du Bronx (représentés, comme le bidonville pour Cubains de
Scarface, sous une bretelle d’autoroute) : transition assez hilarante, le Bronx vu par leur yeux étant une terre ravagée, avec bagnoles qui crament dans tous les coins et \"indigènes\" patibulaires aux vêtements pittoresques.
Mais là où le film se montre véritablement perspicace, c’est dans la peinture du journalisme vu comme un champ social parmi de nombreux autres, composés d’êtres humains ni plus ni moins faillibles qu’ailleurs. Il présente cependant la particularité d’être constamment sollicité par tous les autres champs sociaux: communautés ethniques ou religieuses,
via le révérend black Bacon, le champ politique de la mairie de New York, les revendicateurs de tout poil, et même le champ juridique (cf. Kramer, le substitut du procureur un peu trop zélé).
Tous ces acteurs de la vie sociale ne se sentent exister qu’à travers les médias (voir comment la vie du cabinet du Procureur Général, interprété par F. Murray Abraham, s’organise autour de la télé), et le journaliste Peter Fallow se verra ballotté d’un centre d’intérêts à l’autre pendant tout le film (le problème étant que le journalisme finit par être dépendant de ces solliciteurs, sources essentielles pour un travail vite fait mal fait).
Les procureurs peu scrupuleux Kramer et Weiss, comme le cureton Bacon, pas particulièrement compétents ou intègres, cherchent à gagner une légitimité par des moyens détournés : en l’occurrence, se constituer une belle image de défenseurs des minorités opprimées en accablant le parvenu McCoy, écraseur de jeunes gens Noirs dans le besoin mais courageux et travailleurs (ou pas, mais la vérité n’est pas vraiment leur problème). Les rédacs chefs marchent : après tout, ça fait vendre du papier.
Si tout le monde sera plus ou moins remis à sa place à la fin du film par le speech du juge Morgan Freeman (scène qui jongle admirablement entre le 1er et le 2nd degré :!
, il n’en reste pas moins que les deux personnages qui s’en tirent le mieux à la fin (et qui gagnent la sympathie du spectateur) doivent leur salut, l’un à un mensonge (McCoy qui prétend avoir lui-même enregistré la conversation qui l’innocentera), l’autre à un opportunisme assez cynique (Bruce Willis / Peter Fallow, narrateur du film dont la dernière réplique est à ce titre assez savoureuse).
Bref, c’est amoral, drôle, intelligent et bien foutu. De Palma ne se surpasse pas côté réal, mais assure quand même méchamment. On retrouve ses signatures classiques : un plan séquence de ouf en introduction (qui montre tout ce qui peut se passer avant qu’un personnage n’arrive sur le devant de la scène – ou comment peut-on applaudir un type qui tient à peine debout), et un split-screen un peu cavalier lors du reportage télé sur une pseudo manif populaire (mais c’est plus fort que lui : dès qu’il y a
représentation, faut que De Palma montre à la fois la scène et ses coulisses).
Et donc ça fait du bien de voir un film comme ça aujourd’hui, alors que les emballements médiatiques complètement cons autour de n’importe quoi pullulent et se portent bien (j’adore le dialogue entre Willis et le cureton, lors du filmage du reportage sur la manif mentionné plus haut : « Heu… Dites, est-ce qu’il y a
vraiment quelque chose à filmer ? _
This is show-business ! »).
2/6 cash amha
J'ai jamais pensé à le voir celui-là mais plus j'avançais dans la lecture de ton texte plus je me disais que je ratais quelque chose (un très bon film quoi)...