Ca fait un moment que ça me trottait dans la tête (depuis Janvier et l'achat de mon coffret Warner Gangster Collection à vrai dire), et je me décide enfin à lancer ce topic consacré à ce genre eminemment passionant qu'est le film de gangster. Et quel meilleur film pour commencer qu'un des plus beaux (le plus beau?) fleurons du genre: White Heat (en VF L'Enfer est à lui) de Raoul Walsh (attention, quelques spoilers en perspective).
Made it ma! Top of the World!
Commençons par un peu de remise en contexte historique: suite au succès énorme remporté par Yankee Doodle Dandy (qui lui vaudra un oscar), Cagney décide de quitter la Warner Bros, avec laquelle il était sous contrat, et part fonder sa propre société de production avec son frère William. Mais le premier film qu'il produit et interprète, Time of your life est un échec sans appel. Il revient alors dans le giron de la Warner doté d'un contrat en or lui permettant de choisir les films qu'il veut faire. Et c'est donc avec une idée bien précise que lui et Walsh s'attèle à White Heat.
Le genre gangster est déjà à l'époque très populaire et prolifique, Cagney lui même lui devant une grande partie de sa réputation et de sa carrière. White Heat va alors faire date en ce qu'il se demarque très nettement de la grande majorité de la production. Pour schématiser, le portrait du gangster dans le genre peut se classer sous deux archétypes: le "tough guy" charismatique entrainé dans le crime presque malgré lui et avec lequel le public est amené à sympathiser (surtout quand il connaitra un destin forcément tragique) ou bien le malfaisant pur et dur clairement érigé en figure négative et dont le sort devra faire figure d'exemple pour le public (cf Scarface ou Little Caesar, sur lesquels on reviendra en temps voulu). White Heat renverse complètement la donne.
Le protagoniste principal du film, Cody Jarret (Cagney) est en effet dès l'entame du film posé comme un être à part dans le genre, en ce qu'il est clairement un psychopathe au stade terminal, une boule de nerfs n'agissant que selons ses instincts et ses impulsions les plus primaires, sans pitié, froid, calculateur et totalement imprévisible. Le film ne déviera jamais de cette ligne de caractérisation, ne donnant aucune explication claire aux raisons profondes de la personalité psychotique de Jarret (pas plus qu'aux crises de maux de têtes foudroyants dont il est affligé). Bien evidemment c'est cette personalité totalement extrême qui provoque la fascination et l'attachement chez le spectateur, tant le personnage est unique et jusqu'au boutiste. Et doté d'un personnage aussi complexe et fascinant, Cagney livre une performance qui ne l'est pas moins, d'une présence physique incroyable, dégageant une menace permanente (même cloué sur un lit par une camisole) et parvenant à être à la fois touchant et totalement cintré (cf la scène où il apprend que l'homme en qui il faisait confiance est un flic infiltré et surtout le moment absolument incroyable de la crise de nerfs dans le repertoire de la prison lorsqu'il apprend la mort de sa mère: un déchainement incontrolé de chagrin et de violence, Jarret etalant une demi-douzaine de gardes en chialant comme un veau qu'on égorge, scène tournée sans que les acteurs autres que Cagney sachent ce qui allait exactement se passer).
Puisqu'on en parle, abordons donc le sujet de Ma Jarret, autre personnage qui éloigne le film des codes classiques du genre. L'époque est plus à la représentation de la mère comme une figure angélique, soutien moral du héros, source de conseils et dictant la bonne marche à suivre. Ma Jarret (jouée par la filiforme et inquiétante Margaret Wycherly est un véritable démon, une force castratrice et manipulatrice qui tient Jarret sous sa coupe, ce dernier étant un véritable fils à maman n'agissant au fond que pour plaire à sa génitrice.Même après sa disparition, sa présence continuera à se faire sentir et à motiver les actions de son fils (cf la réplique finale du film en exergue du présent topic) La description de leur relation tranche là aussi totalement avec les standards de l'époque, le côté étant incestueux étant franchement plus que sous-entendu, ne serait-ce que via le personnage de Verna (Virginia Mayo, sublimée par le filmage de Walsh), garce typique entrainant le film vers les rivages du noir, dont les actions et le comportement contrastent clairement avec celles de Ma (autrement dit "toutes des s... sauf maman"). 10 bonnes années avant Psychose, on a là la première représentation d'une relation mère-fils plus que trouble. La personalité de Jarret et son rapport à sa mère culmineront dans le final mémorable et apocalyptique, Cody préférant se faire sauter avec une raffinerie entière de pétrole que se rendre, dernier défi lancé aux flics depuis le toit du monde et dernier salut à sa mère, dans une illustration parfaite de l'expression "going out in a blaze of glory). L'ultime réplique du film tente bien de faire passer un semblant de morale, mais le spectateur ne peut pas être dupe, la vraie fin arrive après le "Made it ma, top of the world!" lancé par un Cagney déchainé.
Je pourrais aussi vous parler de la réalisation d'une fluidité exemplaire de Walsh, du score grandiose de Max Steiner ou de la violence sèche et âpre du film (stuffy eh? I'll give you some air!), mais ce texte est déjà beaucoup trop long, je terminerais donc en disant que plus de 50 après sa sortie, White Heat reste un film essentiel, un sommet du genre qui n'a pas perdu une once de sa force. Alors vous eteignez votre ordi, vous allez chez votre revendeur habituel et vous achetez le coffret Warner nondidiou!
J'espère en tout cas que ça vous aura donné envie de découvrir ce putain de chef d'oeuvre et que ce topic aura un peu de vie, le genre mérite qu'on s'y attarde, et j'aimerais bien faire un topo sur quelques uns de ses représentants.