HÄXAN, Benjamin Christensen, Suède / Danemark, 1922.
Voilà une oeuvre tout à fait singulière qui ne manquera pas d’interpeller celui ou celle qui s’aventurera à la visionner seul lors d’une longue soirée d’été (mais ça peut aussi se matter en plein mois d’août dans une brasserie en compagnie d’un tas de joyeux Marioles venus célébrer la fête la plus ringarde de tous les temps, a.k.a le « Réveillon du Nouvel An »).
Avec ce film, le réalisateur nous plonge dans l’univers pas très rassurant d’un Moyen âge vécu par ses contemporains comme un temps en proie à toutes les diableries et nous dresse le tableau particulièrement évocateur d’une époque où la pratique de la sorcellerie était une chose communément admise aussi bien par le petit peuple courbant l’échine sous le poids des travaux des champs, que par un Clergé en manque de petits croissants verts à broyer (l’épisode hasardeux des Croisades est désormais une histoire ancienne) et qui décide alors de reporter sa frénésie religieuse purificatrice sur toute personne soupçonnée d’entretenir le moindre rapport avec le Malin. La tendance est donc à la chasse aux sorcières et malheur à celui (enfin surtout à celle) qui se retrouvera sous les faisceaux inquisiteurs d’une Eglise qui, par le pouvoir du Christ ressuscité, détient la force toute puissante !
Häxan est un spectacle visuel total où se succèdent pendant près d’1h45 des séquences délirantes bourrées de détails et d’inventivité au service d’un récit à la forme étonnante où se mêlent scènes live flamboyantes et cartons graphiques à caractère informatif (on ne cesse de naviguer entre fiction et documentaire).
Parmi ces scènes live, on a droit à pas mal de séquences chocs en tout genre, tel ce sabbat endiablé dans un bois en pleine nuit, ces nones emportées par une hystérie collective (elles ne sont pourtant pas japonaises…), ce balais aérien incroyable où foncent dans les airs des dizaines de sorcières, ce repère lugubre où s’affairent des gens peu avenants préparant leurs mixtures infâmes à base de cadavres putréfiés et de nourrissons baignant dans leur sang, ces deux mégères qui balancent leurs excréments (!!!) sur la porte d’une personne à qui elles ne souhaitent certainement pas le bonheur, ce moine fouetté par un supérieur pour cause de pensées impures (et qui en redemande lorsque ce dernier s’arrête...), … enfin bref, je pourrais en citer encore un paquet des comme ça mais je crois que je vais arrêter là ce passage en revue aussi chaotique que vain et m'empresse de faire don de ma personne pour atténuer le malheur qui assurement, frappera ce topic. Et puis de toute façon, mieux voir le film que de se le faire raconter par un tiers (oui, c’est ma conception du cinéma).
Mais au-delà de ces « vignettes explicites » (Christensen a dû avoir de sérieux problèmes avec la censure, d’autant plus que les scènes de nu ne sont pas rares… ok, c’est pas du nu frontal mais une paire de fesses ou de nichons, même habilement « couvertes » par un subtil jeu d’ombres, c’est pas encore trop la mode dans le cinoche de cette époque), au delà de la beauté formelle de cet objet filmique unique, au delà des décors magnifiés par une photo superbe, au delà du montage, des costumes et des maquillages impressionnant encore aujourd'hui (avec un bestiaire fantastique grouillant de démons et de créatures abjectes difficilement identifiables), au delà de la séquence animée en stop-motion, ce que l’on retient avant tout, c’est l’audace dont a fait preuve le réalisateur pour nous dépeindre le portrait sans concession d’une institution sacrée corrompue plus qu’il n’est possible de l'être et qui, dans le même temps n’a de cesse durant toute la période de l’Inquisition, de faire preuve d’inhumanité vis-à-vis de ses propres ouailles, usant et abusant des menaces, du mensonge, de la cruauté (la description méticuleuse des instruments de tortures utilisés fait froid dans le dos) avant de finir invariablement par jeter au bûcher des centaines de milliers (des millions ?) de gens pour leur « propre bien ».
(
du cul, du cul... et encore du cul !)
Le film se conclue dans le XXe siècle et fait appel à la rationalité supposée de notre époque dite moderne pour expliquer sous l’éclairage médical toutes ces formes de manifestations insolites du comportement (l’hystérie, les hallucinations, le somnambulisme etc) en se permettant tout de même de douter quant à la pertinence absolue des traitements utilisés (et peut-être par delà même de la supériorité de pensée arrogante dont fait preuve l’homme du Xxe siècle –et du XXIe siècle forcément- sur les générations passées).
Sinon, dommage de voir un film aussi riche, aussi puissant, aussi évocateur, bref, dommage de voir un truc aussi hallucinant (dans le fond et dans la forme), rester encore dans l’ombre de pas mal de classiques de cette époque. Victime peut-être de son sujet perçu comme "trop glauque" ou de sa nationalité… j’en sais rien… (tout comme on ne saura jamais si la Terre est vraiment ronde).
Ps3 : à noter que le dvd Criterion propose 2 version du film : la version originale restaurée et avec une superbe partition musicale classique (Wagner, Beethoven, Mozart, Tchaikovsky etc) et une version US datant des années 60 dotée d’un commentaire audio de William Burroughs, d’une partition jazz et surtout d’une dizaine de minutes en moins.
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