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Version complète : Un été en phase terminale...
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Diez
[Cet article devait, à l'origine, ouvrir une critique sur la Jeune fille de l'eau. Cette critique s'étant finalement retrouvée transformée en une tentative de décryptage de la carrière de Shyamalan qui sera probablement publiée sur le site d'ici peu, et cette introduction ne convenant plus vraiment au sujet en question, je la pose ici en espérant qu'elle vous intéressera éventuellement...]

Coïncidences du calendrier des sorties ? L’été 2006 signait le retour simultané de cinq cinéastes dont les expérimentations et les œuvres figurent parmi les plus stimulantes de ces dernières années : Terry Gilliam, Takeshi Kitano, Michael Mann, Michel Gondry et, non des moindres mais relégué à la fin du calendrier des sorties, M. Night Shyamalan. Forts de lettres de noblesse acquises par le passé (ou parce qu’ils avaient déjà à leur actif au moins une œuvre importante) et du soutien d’une garde prétorienne de fans invétérés, tous ont acquis, au moins le temps d’un film, une relative mais confortable indépendance artistique. Est-ce ce statut envié, et par dessus tout la conscience de sa précarité, qui les auront poussé à accoucher d’œuvres aussi surprenantes, embarrassantes, déconcertantes ? ...ou, comme on a pu le lire chez ceux que l’emphase n’effraie pas, de films « suicidaires » (TéléCinéObs, avec une intuition d’une acuité surprenante compte tenu de la pesanteur coutumière de leurs critiques, emploie l’expression « suicide artistique » pour descendre Lady in the water) ?
Des œuvres (pour la plupart) chargées à bloc, testamentaires et rétrospectives, de celles qu’on lâche à l’aveugle avant de mourir, comme une bouteille à la mer adressée davantage à ceux qui viendront qu’à ceux qui vont nous survivre. Quelque chose est en train de mourir, et ces auteurs là tiennent autant des pleureuses que des fossoyeurs…
Invariablement, on retrouve concentré dans leur dernière œuvre tout ce qui décantait déjà dans leur filmographie, mais comme clarifié, filtré de tout ce qui pourrait s’apparenter à un impératif narratif. Tous semblent avoir soumis leur film à un laborieux travail d’épluchage, comme pour mettre leurs thématiques à nu, expliciter leurs propos, disserter sur leur travail, sur le cinéma, sur l’art, sur la vie, avec une prétention revigorante, une maladresse apparente et une maestria certaine.

Qu’on en juge : Mann trouve dans la linéarité de son intrigue une rampe d’accès à la limpidité élevée au rang d’idéal, et livre avec Miami Vice le premier « blockbuster feutré », œuvre schizophrénique naviguant constamment entre le vulgaire et le sublime, l’urgence et le raffinement, quelque part entre le refus de l’esthétisme et sa recherche effrénée ; Kitano utilise le rêve comme échappatoire à la rigueur narrative, opte pour un récit puzzle et choisit le patchwork godardien des années 60 et son montage mal dégrossi, aux sutures apparentes, en guise de patron à son déroutant Takeshis’ ; Gondry s'émancipe de la houlette du labyrinthique Spike Jonze et des circonvolutions narratives du scénariste Charlie Kaufman pour laisser le champ libre à ses rêveries personnelles dans sa Science des rêves fièrement décousue ; Gilliam trouve, dans la transposition fidèle du roman Tideland, le terrain rêvé pour poursuivre ses réflexions, ses obsessions et ses provocations ; Shyamalan, enfin, s’affranchit de son cahier des charges en vigueur depuis 6e sens – à savoir la relecture d’un grand thème du fantastique + un ou deux rebondissement final - en choisissant le support du conte de fées braconnant sur ce qui fut jadis la chasse gardée de Steven Spielberg.

La démarche évoque celle des réalisateurs de la nouvelle vague : commune ou désordonnée, l’histoire est reléguée au rang d’un champ de possible et devient tout à la fois terrain d’expérimentation, terreau de réflexion et terrier d’un lapin blanc que le spectateur est invité à suivre aveuglément, sous peine, s’il s’y refuse, de rester sagement à l’entrée, avec l’ouvreuse. La radicalisation est de vigueur, aussi ouvertement affichée que pleinement assumée, quitte à se mettre les spectateurs à dos : la réalisation de Mann se pose en une absolutisation du style reportage qui est devenu la norme dans le cinéma d’action contemporain ; Gilliam étend ses partis pris d’une mise en scène chavirée à tout un film et joue avec l’hystérie et la frénésie de ses personnages jusqu’à la saturation ; Kitano pousse le grotesque et le surréalisme dans des retranchements insoupçonnés ; Gondry choisit un héros à la névrose exponentielle, apprenti inventeur dont les bricolages amateurs se détraquent méthodiquement ; quant à Shyamalan, il échafaude une mythologie d’opérette qui fleure savoureusement le galimatias d’héroïc-fantasy bon marché. L’important, semblent-t-ils nous dire tous autant qu’ils sont, est ailleurs. Mais où exactement ?

Aucun de ces films ne semble fonctionner parfaitement. La plupart d’entre eux suscitent un léger désappointement, comme si quelque chose ripait et entravait une imbrication qu’on présageait parfaite. Il y a un décalage, mais dont on ignore s’il provient de l’œuvre elle-même, de sa gestation, ou de nous, public, de l’écart entre nos attentes et leurs intentions... Autre point commun, qui est probablement une conséquence du précédent : ces œuvres entraînent généralement des réactions très tranchées, passionnées. Tout le monde sent, confusément, que quelque chose ne marche pas, qu’un truc nous a échappé, mais tout le monde ne réagit pas de la même manière : certains passent outre, d’autres se focalisent sur un point trop obscur ou trop lumineux, lequel constitue à leurs yeux la preuve, d’une si flagrante évidence qu’ils ne songeraient pas même à la remettre en cause, de l’échec du réalisateur. Les premiers sortiront avec la certitude d’avoir assister à un chef-d’œuvre, une réaction qui tient à la fois d’une saine humilité et d’un orgueil certain puisqu’elle se base sur une incompréhension qu’on suppose commune et qu’on ne cherche pas vraiment à interroger. Les seconds critiqueront le film en question avec d’autant plus d’ardeur qu’ils se sentiront sûrs de leur bon droit, forts d’une lucidité qui manque aux premiers et qui leur permet, à eux, impartiaux et objectifs, de reconnaître les erreurs des grands et de les sanctionner avec autant de rudesse que les petits, ou qu’ils penseront avoir mis le doigt sur une imposture, et que l’imposteur en question – flemmard, roublard, ou pire, de ceux qui obscurcissent volontairement leur propos pour en travestir la vacuité – doit au plus tôt être démasqué.

On aurait pourtant tort de tomber dans le piège d’une adoration ou d’un rejet excessif et aveugle : quand on est confronté à de pareils films, c’est les desservir que de leur décerner le statut de « chef-d’œuvres instantanés et définitifs », au moins autant que de les taxer de « plantages intégraux et irrévocables », comme des étiquettes qu’on accolerait par goût ou caprice, histoire de cacher l’embarras que nous cause le film derrière l’évidence de ses qualités ou de ses défauts. Or, s’il est un point sur lesquels fans et détracteurs tomberont d’accord, c’est bien sur le fait qu’il n’y a rien d’évident dans les qualités de ces films là… Ils n’ont rien de ces lampes de conte de fée qu’il suffit d’astiquer deux ou trois fois pour en extraire le génie, et il faudra du temps avant qu’on ne prenne la mesure de l’influence qu’ils vont exercer sur la production à venir, de même qu’il faudra probablement du temps – celui d’une nécessaire décantation – pour qu’émergent leurs véritables qualités, pour qu’affleure la teneur exacte de leurs innovations. Ce sont, on l’aura compris, des œuvres qui appellent au re-visionnage, pensées pour être vues plusieurs fois. Devant de tels films, il faut faire preuve d’humilité et de patience, comme avec ces enfants dont on ne sait s’ils échouent à s’intégrer par paresse et mauvaise volonté ou au contraire parce qu’ils sont trop brillants pour leur âge.

Ce sont, enfin, des œuvres qui ont cela de stimulant qu’elles s’apparentent à des espaces vierges et incertains… Des films qui restent à défricher.
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kitano
Je suis plutôt d'accord avec cette analyse en ce qui concerne le dernier Gondry, le lady in the water, voir le dernier Gilliam mais pour Mann et Kitano je suis moins d'accord.
Pour moi le dernier Mann appelle pas forcément à de nombreux visionnages AMHA on aime ou on aime pas.
En ce qui concerne le dernier kitano je n'ai pas resssentis le léger désapointement que tu évoquais, je comprends que certains aient pu être surpris, pour ma part après avoir vu getting any je m'attends à tout de la part de Takeshi.
L'archiviste
Sympa le texte !
smile.gif

j'excepte juste la mention inexacte à Spielberg (qui n'a qu'un seul "conte de fées" à son actif -et un mauvais film qui plus est- ainsi que trois sketches télé) mais l'idée de se pencher sur la conjonction des "gros films d'auteur" de cet été est appréciable
profondo rosso
En fait je me demande si la débandade de l'été serait pas dû à l'abscence de vrai producteurs. Tout les film qui se sont rammassé commercialement et/ou artististiquement avait été offert sur un plateau avec carte blanche au realisateur : Superman Returns, La Jeune Fille de l'eau, Miami Vice, le Gilliam (seul exeption Poseidon...) Et le seul film a remplir son quota de blockbuster divertissant est un pur film de producteur, Pirates des Caraïbes 2. On dirait que c'est les "auteurs" en roue libre qui plombent les films désormais... Entre le mechant qui remonte le film dans le dos du real, lui impose des idées à la con et ne jure que par les projections test et un bon producteur qui sais recadrer les realisateurs quand il le faut il y a un juste milieu. Ils y arrivaient bien à l'age d'or du cinéma Hollywodien.
darklinux
Le pire est que les studio vont encore mettre sur le dos du piratage la baisse du nombre d ' entrée
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