Voyna i MirConsidéré comme le plus grand film jamais tourné, ce
Guerre & Paix version soviétique, se voulait la fidèle adaptation de la gigantesque fresque de Leon Tolstoï. Mission largement accomplie à l'arrivée avec un film ahurissant de démesure...
A l'époque, Serguei Bondartchouk reçoit carte blanche de l'état soviétique pour porter l'illustre roman à l'écran. Et quand je dis carte blanche, c'est vraiment carte blanche puisque les moyens humains et matériels mis à la disposition du réalisateur sont tout simplement
illimités.
Jugez plutôt :
Un tournage et une production qui s'étalent sur sept années.
Un budget d'époque estimé à plus de 100 millions $ et qui au court d'aujourd'hui serait réévalué à 560 millions $ ce qui en fait à coup sûr le film le plus cher de l'histoire.
Des scènes de batailles à la démesure indescriptible qui mobilisent 120 000 figurants (des milliers de fantassins, des milliers de cavaliers) gracieusement "offerts" par l'Armée Rouge.
Une reconstitution de l'incendie de Moscou par les armées napoléoniennes qui fait passer celui d'Atlanta dans
Autant en Emporte le Vent pour un gentil petit feu de cheminée.
Divisé en quatre partie,
Guerre & Paix dure sept heures, sept heures hypnotiques aptes à écraser n'importe quel amateur de cinéma à grand spectacle à qui "on ne l'a fait plus".
Tourné dans le glorieux format du
Sovscope 70 (70 mm en clair), le film bénéficie en outre de 6 canaux stéréo pour le son (une première pour l'époque peut-être non?).
Un soucis du détail proche de la démence pure (on croule sous un déluge de décors, de costumes, d'accessoires...) qui laisse à penser que c'est le pays entier qui a servi de plateau de tournage (j'aime assez bien l'idée de voir les dirigeants du Kremlin mués en responsables de studios le temps de ce tournage...).
Zéro CGI à l'écran, je répète, zéro CGI à l'écran ! Pas l'ombre d'un écran vert, pas une seule retouche digitale pour faire ressortir les abdos de soldats nus et braillant comme des boeufs graisseux, pas la corne d'un rhinocéros obèse, bref, pas de place pour les gamineries.Tout est vrai ici, bio de chez bio : les centaines de canons qui tonnent et qui crachent leur fumée, les mouvements de troupes réglées comme du papier à musique, les milliers de cavaliers qui foncent dans tous les coins, les chevaux qui ressemblent à des chevaux, la poussière, le feu partout, les explosions, les corps qui tombent, la pluie, le brouillard, la neige, les nuages, le ciel, les étoiles, les paysages sans fin de la Mère Russie, les lambris des palais, le vernis craquant des maisons de campagnes, les rires, les pleurs, les éclats de voix, les hurlements de douleur, les chants profanes mêlés aux chants sacrés, et mille et une petites choses encore qui donnent au film un cachet d'authenticité parfaite malgré le côté "bigger than life" de la chose.
Que Bondartchouk soit parvenu au bout de cette aventure sans se laisser engloutir par l'ampleur littéralement biblique du truc relève du miracle (je pense que plus d'un réalisateur, même chevronné, aurait dans les mêmes conditions "succombé" à l'ivresse du pouvoir et à l'illusion de la toute puissance) ! Nullement impressionné, il va même jusqu'à faire l'acteur en campant Pierre Bezoukhov, l'un des personnage central du roman.
Le plus remarquable peut-être dans cette histoire, c'est que ce film soviétique se pointera à Hollywood en pleine guerre froide (1968) pour y décrocher l'Oscar du meilleur film étranger. Pas mal hein?
Pour ce qui est du film en lui-même, un bel équilibre règne entre les scènes intimistes (la Paix) qui comportent tout de même leur lot de séquences qui en foutent plein la vue (voir l'impressionnante scène du bal) et les scènes spectaculaires (la Guerre) avec les plus grandes batailles jamais vues à l'écran (Borodino !). Certes, y'a eu depuis une certaine trilogie tournée en Nouvelle-Zelande qui est toute aussi spectaculaire mais bon, y'a eu utilisation du fond vert cette fois-ci (mais avec une vraie profondeur contrairement au bidule synthétique des 300 Spartiates tendance OGM). La mise en scène est bourrée de mouvements de caméra beaucoup trop insensés pour que je puisse vous les décrire ici (c'est un film de dingue je vous dis !). Fidèle au roman, les personnages aussi nombreux qu'attachants sont campés par des acteurs solides qui font passer avec talent leurs états d'âme (le désabusé comte Pierre Bezoukhov, le charismatique prince André Bolkonski, la fougueuse Natacha Rostova [
]...) et nous introduisent de la meilleure manière qui soit, dans la Russie du XIXe siècle où l'Histoire avec un grand H côtoie les destins personnels bousculés par les flots déchainés de la guerre. Sentiments nobles, amours, gloire, patriotisme, désillusions, rêves de grandeur, passion, tout se mêle pendant des heures pour nous offrir un spectacle dont il est impossible de se lasser, celui de qui nous sommes.
Un film qui se conclue là où il a commencé : tout là-haut dans le ciel.
PS3 : je repasse ici demain avec plein d'images