Le sujet est casse-gueule, et il l'est d'autant plus si on ne s'accorde pas sur les mots.
Racisme, stéréotype et xénophobie ne désignent pas les mêmes choses.
Le racisme est une croyance, qui considère que le comportement des individus est conditionné par les gênes que portent leur "race", et non pas par la culture propre à une région (exemple : "
le noir a le rythme dans le sang" au lieu de "
pas mal de noirs dansent bien parce qu'ils viennent de communautés où la danse joue un rôle important"). Ce qui veut dire que le racisme peut tout à fait être pétri de bonnes intentions à la con.
Le stéréotype ne concerne pas les "races" mais des peuples. C'est un raccourci de pensée qui attribue à tous les membres d'une communauté un même réflexe culturel ("
les belges mangent des frites"). Il est souvent employé avec la conscience qu'il s'agit d'un stéréotype, pour rigoler sainement ou humilier autrui. Mais il demeure des stéréotypes solidement ancrés dans les consciences, tout simplement par ignorance. Si je prononce le mot "
musulman", la moitié des gens de cette planète va immédiatement voir apparaître l'image d'un arabe (avec barbe de préférence), alors que les arabes représentent à peine 20% des musulmans sur Terre. On applique donc l'image d'1/5ème d'une population pour la plaquer de force sur les 4/5ème restants. Hé bien ça c'est pas loin d'être un stéréotype justement.
petites photos filmiques de couples musulmans typiques au passageEnfin la xénophobie, psychose la plus répandue au monde, concerne tout bêtement la peur irrationnelle de l'étranger, qu'il vienne d'un lointain pays (de nos jours) ou du village d'à côté (dans les temps anciens)
La confusion plus ou moins volontaire de ces termes entraîne obligatoirement une confusion des esprits.
Aujourd'hui, à Los Angeles, l'image raciste typique, c'est celle du noir en salopettes et pieds nus qui mange une pastèque en crachant les noyaux aux quatre vents. Elle est à ce point politiquement incorrecte qu'un grand nombre de films des années 30-40-50 qui contiennent cette image ne sont plus diffusés nulle part par peur de représailles juridiques (
La Mélodie du Sud de Disney, certains Tex Avery etc.). Le problème c'est que ça n'est pas une image raciste; c'est un stéréotype. Et comme tous les stéréotypes, il se base sur des figures qui ont existé et frappé l'imaginaire du blanc moyen à une certaine époque.
Lorsque King Vidor réalise
Hallelujah! en 1929, il fait acte de courage et de militantisme. il est le premier réalisateur d'importance à consacrer un film entier à des personnages noirs de peau, qui ne sont pas des simple figures mais de vrais personnages dramatiques (en gros ils ont des émotions, des peurs, des amours, des trahisons). Il le fait à une époque de ségrégation violente (ses actrices sont carrément gênées parce qu'ils les appelle "
Madame" au lieu du traditionnel "
Hé toi là !"). On devrait donc considérer son film comme un symbole d'antiracisme cinématographique, puisqu'il annihile la notion de race en montrant des humains vivre des trucs humains à travers leur particularisme culturel. Mais
Hallelujah! est aussi un film avec plein de noirs en salopettes et pieds nus ! Si tu en retires un photogramme et que tu l'affiche dans une rue de Los Angeles, tu passeras facilement pour un raciste. J'appelle ça de la confusion.
(images diverses sur
The Negro in early Hollywood)
Cette perte de repères entraîne des observations intéressantes. Aujourd'hui, beaucoup de personnes qui s'estiment choquées du racisme supposé d'un film n'appartiennent généralement pas à l'ethnie visée par le film. Je n'ai jamais rencontré un arabe qui ait été choqué par le film
True Lies par exemple (jugé, au contraire, plutôt drôle, surtout la séquence où Aziz a plus de batterie dans sa caméra et ferme sa gueule), mais beaucoup de personnes non-arabes qui étaient gênées par la description de ses terroristes. Les arabes de
True Lies, ce sont des stéréotypes assimilables aux belges mangeurs de frites. C'est couillon, ça fait rire, et personne ou presque n'est dupe du "réalisme" supposé de la description.
Par contre, je connais pas mal d'arabes qui se sont sentis un peu insultés par le film
L'Union sacrée qui, lui, se présentait ouvertement comme une oeuvre antiraciste-aimons-nous-on-est-tous-des-frères. Avoir filé le rôle de l'arabe à Richard Berry, déjà c'était pas très malin, mais surtout ce personnage dans le film est tellement faux que c'en est choquant. C'est à se demander parfois si Arcady avait déjà croisé un arabe dans sa vie (sachant que ça se retrouve dans d'autres de ses films, on peut considérer que le mec est vraiment pas à l'aise avec la question). Le fait est que
L'Union sacrée est bourré de stéréotypes et de lieux communs qui n'ont pas vocation à être de l'humour, et ne peuvent donc être compris que comme une marque d'ignorance doublée d'une certaine condescendance. Le sentiment d'insulte nait de là : "
si ce mec en sait aussi peu sur nous, qu'il évite de faire un film étandard pour notre soi-disant cause".
L'Union sacrée a été bien accueilli par la critique et les médias, qui n'y ont vu que de la bonne volonté.
Les membres d'une communauté donnée sont parfois eux-mêmes les artisans de cette confusion. Lorsque Spike Lee part en guerre dans les médias pour dauber sur le futur film de Steven Spielberg
La Couleur Pourpre, il est écouté avec un intérêt non feint par le public "blanc", mais il embarasse sévèrement les 3/4 de ses collègues black à Hollywood qui, eux, considèrent le film comme important pour leur cause (encore une fois parce que c'est un film qui met en scène des humains qui ont des problèmes d'humains). Les lobbies qui exigent que leur communauté soit dépeinte d'une façon positive (
"les noirs dealers de drogue ça n'existe pas, les indiens alcooliques non plus") ou qui réclament un contre-exemple systématique (le noir bien sapé dans le commissariat, qui ne sert à rien d'autre qu'à permettre d'avoir un noir délinquant dans l'histoire) ne rendent service à personne et ne représentent qu'eux-mêmes. la plupart de ces exigences ne font qu'entériner le stéréotype et nourissent l'ignorance.
Menace 2 Society a permis à plein d'américains d'avoir une nouvelle perspective sur les jeunes tarés des gangs, parce que le film osait tout simplement montrer en détail la vie d'un de ces taré de la gâchette, dénué de repères moraux et prêt au pire tellement il n'en a rien à foutre, sans jamais se réfugier derrière un prétendu "équilibre des forces morales" qui n'existe tout simplement pas dans ces quartiers. Quelque chose me dit que les frères Hugues ne devaient pas plaire au Spike Lee de cette époque.
J'ai hélas bien peur que ce glissement de terrain revendicatif ne commence à faire surface en France.
Enfin bon, vaste sujet je crois, dont les stigmates peuvent surgir à tout instant à chaque endroit. Quand je vois Le Duc regarder un film où un anglais égorge un écossais, et immédiatement se dire "
ce réalisateur déteste les musulmans"
(non mais what the fuck quoi !) je crois que ça prouve à quel point le stéréotype est tapi dans les consciences et prêt à surgir chez celui qui se croit à l'abri de ces raccourcis de la pensée (ou alors c'était une blague et elle est passée dix mètres au-dessus de ma tête).