CITATION(L @ 16 9 2007 - 23:28)
Sinon, étant donné que j'ai pas trop le temps, est-ce que quelqu'un pourrait démontrer en quelques lignes que Le Ciel peut attendre est un uber-film, dont l'uber-compassion devrait le rendre obligatoire chaque dimanche soir à la télé, et rappeler aux gens qu'il existe des sentiments totalement étrangers à l'île de la tentation ?
Sir, yes sir !En fait, ça tombe plutôt bien, puisque je l’ai revu dernièrement. En effet, après l’avoir ici-même honteusement qualifié de "film mineur", j’ai réalisé que je ne l’avais vu qu’une fois il y a quelques années, et que je m’étais promis d’y revenir. J’ai donc profité de l’occasion pour souffler sur la couche de poussière qui recouvrait mon DVD. (Après une période chargée en travail et pauvre en films, autant recommencer direct par une pointure.)
Et là, pardon. Mea culpa. Le qualificatif "film mineur" fait sans conteste partie des plus grosses conneries que j’aie pu écrire sur ce forum (Ce qui vous donne une idée de l’ampleur de la chose…
)
Pas grand-chose à dire pour ma défense…Si ce n’est que les années ont passé depuis ma dernière vision. Le temps ayant accompli son oeuvre sur moi et mon entourage, je suis sans doute maintenant bien plus réceptif à ce film et à ses thématiques. Pour me faire pardonner, on va tenter de faire ça bien.
Démontrer qu’il s’agit d’un über film ? Y’a rien à démontrer, y’a qu’à le regarder.
Tout d’abord, comme tu l’as souligné, il faut voir ce film pour Gene Tierney, belle à se damner, corps et âme, sans remords. Chacune de ses apparitions à l’écran justifie à elle seule l’invention du technicolor. (Ces yeux…mais CES YEUX quoi !!! Rhaaaaaaaa….Elle réussirait presque à rejoindre Bacall dans mon panthéon fétichiste personnel…
)
Ensuite parce que
Heaven can wait occupe une place bien particulière dans le filmo de Lubitsch.
Ernst passe le cap de la cinquantaine lorsqu’il le réalise. Il a des problèmes de cœur, au propre comme au figuré. Il est en pleine procédure de divorce, et une attaque cardiaque viendra l’affaiblir juste après ce film. Il mourra 4 ans plus tard, sans que sa santé lui permette de finaliser ses dernière œuvres (qui seront « co-réalisées » par Preminger).
Il s’agit donc du dernier film qu’il aura totalement maîtrisé, et du seul en couleur.
Difficile, donc, de ne pas y voir, sinon un testament, du moins le bilan d’une vie. Et le scénario ne fait que renforcer cette impression.
Heaven can wait Raconte la vie d’Henry Van Cleve, homme charmant et charmeur, issu de la bonne société new-yorkaise, à la charnière du XIXème et du XXème siècle.
Le film s’ouvre lorsque Henry, vieux monsieur fraîchement décédé, se présente devant les porte des enfers (plus précisément dans le bureau du diable) Il vient présenter son dossier, sans grandes illusions sur sa prochaine destination. Le diable acceptant de se pencher sur son cas, Henry va donc lui détailler son « dossier », c'est-à-dire lui raconter l’histoire de sa vie, et en particulier les raisons qui l’amènent à estimer sa damnation comme inévitable : les femmes, notamment.
A la vision du film, il est difficile de ne pas s’interroger sur l’aspect « autobiographique » de l’oeuvre. Certes, le scénario est adapté d’une pièce de théâtre, mais elle n’a clairement pas été choisie au hasard. Même s’il faut faire attention à ne pas sur-interpréter ce genre de choses, certains détails sont troublants. La période couverte, tout d’abord, la jeunesse de Lubitsch, ensuite, et ses confrontations avec son père, qui lui demande de tenir les comptes de la boite alors qu’Ernst ne pense qu’à aller traîner avec les artistes, dans les théâtres et les cabarets. Les rapports avec sa femme ensuite, etc. etc. Je ne connais pas assez la bio de Lubitsch pour analyser ça en profondeur. Mais d’une part, ça a du être fait par d’autres, et de toute façon, ce n’est pas essentiel pour apprécier le film en tant que tel.
« Heaven can wait » se démarque de œuvres immédiatement antérieures de son auteur, par ses thèmes, tout d’abord. Ici point de politique, point de considérations internationales. Pas de nazis, pas de russes communistes. L’histoire se concentre sur des américains de la haute bourgeoisie. Des gens aisés et sans histoire. C’est d’ailleurs, AMHA, ce qui fait sa force et son universalité.
L’erreur (que j’ai commise) serait de croire à une pauvreté thématique, ou à une ambition moindre. En fait, en se recentrant sur les vies « ordinaire » de gens « ordinaires », Lubitsch concentre son discours ce qui lui semble essentiel. Les rapports humains, les conventions sociales, et, n’ayons pas peur des mots, l’être humain en général. Une étude de mœurs brillante et d’une justesse impressionnante, qui garde toute sa valeur, même à notre époque.
Sous ses airs légers, le film cache une richesse ahurissante. L’adolescence, les rapports avec la famille, le poids de la société et de ses conventions, la modernité, l’industrialisation, la publicité, le sexe, le vieillissement, l’anticonformisme, la transmission des générations, l’amour, bien sûr, et la mort.
Ce qui force vraiment le respect, c’est que Lubitsch réussit à faire d’une grande fresque quasi-métaphysique, qui s’étale sur 3 générations, une comédie irrésistible. Comme d’habitude, les lignes de dialogues de pur génie s’enchaînent dans des séquences cultes (aaaah…la bonne française, aaaah, le grand père et sa descendance, aaaaah, l’espionnage par la fenêtre, aaaaah, les scènes de drague, aaaaah les running gags…tout ça…)
Ce qui m’avait surpris à la première vision, c’est justement cette richesse. Le film quitte parfois le domaine de la comédie pour s’aventurer (tout en finesse) vers d’autres genres. Certaines séquences sont pleines d’émotion, de nostalgie, ou de drame. Le plus impressionnant, c’est que chaque séquence est une réussite formelle, mais ne vient jamais briser l’harmonie de l’ensemble, Lubitsch gardant toujours l’humour, la retenue, et la sensibilité qui lui permettent de faire passer les scènes les plus dures. Il enchaine les scènes graves et comiques avec un rare bonheur et une sacrée maestria
(et pourtant…j’ai pleuré. Deux fois. Et ça, j’aime autant vous dire que ça ne m’arrive pas souvent devant un film…la dernière fois c’était….pfiouuuu…y’a un sacré bail. Mais alors exploser de rire juste derrière…ça…ça je crois que ça ne m’étais jamais arrivé. Sauf pour les films de Von Triers…mais pour d’autres raisons, c’était juste nerveux…) Le plus beau de l’affaire, c’est qu’en réalisateur chevronné, Lubitsch maîtrise parfaitement la technique, et déploie ici tout son arsenal. Le film me semble nettement moins « théâtral » dans ses effets, plus subtil, plus cinématographique, quoi… Comme dans son scénario, il évite les effets faciles et le prémâché pour nous offrir un spectacle tout en finesse. Les couleurs, les cadrages…(aaaaah, cette bonne vieille rambarde d’escalier lorsque ce con de cousin vient refaire sa déclaration… les portrait de famille chez les Van Cleve, contre les bandes dessinnées chez les texans nouveaux-riches...)
Bref, un spectacle d’une qualité rare. Un petit bijou ciselé par notre orfèvre favori.
Très bien, me direz-vous. Mais tout ça pour quoi ?
Et vous aurez raison. Il est temps d’en venir au fond de l’affaire, et c’est ça le plus beau.
Car si ce film est un testament, alors le dernier message de Lubitsch est un gigantesque cri d’amour envers le genre humain. Même s’il s’en moque, caricature ses personnages à l’extrême, souligne tous leurs défauts, leur mesquinerie, leur absurdité, il n’en condamne aucun. TOUS ses personnages, même le plus insupportable crétin, se verront offrir leur moment de rachat, de rédemption. La plus grosse brute laissera entrapercevoir, un bref instant, son coeur derrière sa carapace. Ce con de cousin, bien sûr, qui enlève quelques instants le parapluie qu’il a dans le cul depuis sa naissance. Le beau-père, à l’issue d’une scène de comédie tout simplement ENORME (la scène « repas et bande dessinée », ou il réussit tout de même à souligner la situation peu enviable du serviteur noir chez le riche texan) le beau père, donc, qui s’en est pris plein la gueule depuis le début du film, va devenir bouleversant en un seul plan muet, lorsqu’il s’empare lui-même des valises de sa fille pour les porter dans sa chambre.
L'inverse est aussi vrai…Les personnage principaux ont aussi leurs défauts, leur part d’ombre, leurs lâchetés, qui sonnent parfois comme des aveux (la scène de rupture/réconciliation sonne tellement juste…tout comme le mensonge final de Martha, franchement bouleversant…)
Heaven can wait est, AMHA, l’un de plus beaux films humanistes que l’on puisse voir. Le message ? C’est que malgré tous leurs défauts (qu’il a tant souligné pendant des années), Lubitsch aime profondément ses frères humains, et leur offre à tous le pardon, le rachat, et une place au paradis. Peut être pas dans la meilleure chambre, ni la plus ensoleillée, peut-être dans une annexe un peu excentrée, mais en haut tout de même.
C’est magnifique.
Your soul is bigger than your pants \6 (Cash !)