Faut il remettre les films dans leur contexte pour les juger?
[inclure ici un dramatic chipmunk]
Voici un exemple de discussion plutôt classique, sur ce forum et dans la vie:
CITATION(El Pistolero)
filmé avec les pieds, j'ai pas pu regardé plus de 15 minutes...
C'est du petit cinéma underground, c'est pas plus mal filmé ni plus mal joué que les premiers John Waters par exemple.
Ca a le charme rétro du cinéma anticonformiste des seventies, c'est plutot bien je trouve. Il faut se remettre dans le contexte de l'époque et voir tout ce que cinéma avait de contestataire (dans le ton et dans la forme) et la vision dérangeante qu'il donnait des USA.
Et puis le grain de l'image, la lumière cramoisie, l'exposition des corps charnus, ça crée une sensualité à l'image qui continue de fasciner. Je trouve.
Je pense que vous êtes tous relativement familier avec ces postulats, donc je ne les résume que sommairement:
- Le premier postulat, c'est qu'une œuvre d'art se comprend dans son contexte. Elle n'a pas été crée dans un néant complet, mais à une époque précise. Et au moment de sa conception, elle se plaçait dans la continuité (ou en opposition) d'autres œuvres qui la précédait, dans une société donné dans le temps et l'espace avec ses propres préoccupations, ses opinions majoritaires, et on peut continuer de manière infinie ainsi... Un exemple parlant pourrait être celui du film indien Bhoot. Pour le lecteur de Mad Movies, le film peut paraitre particulièrement peu original dans son scénario ou ses effets. Mais si on se replace dans le contexte, à savoir un film destiné en priorité (voire en quasi exclusivité) au marché indien (et de pays consommant de ces films), marché ou la présence du cinéma d'horreur est très marginale, on comprend mieux alors le pourquoi du comment de la conception et de la perception.
- La position "opposée" (ou plutôt complémentaire?), c'est que le film/œuvre d'art existe en tant qu'objet unique valant pour lui même et que sa qualité peut (voire doit!) être jugée hors du contexte. Les écrits philosophiques de la Grèce Antique ont frappé les lecteurs de leur pertinence et ce malgré une contextualisation assez limité. Plus proche de nous, un film comme Freaks continue d'être considéré comme efficace, pertinent et agréable même par des gens dont la connaissance de l'histoire du cinéma (en particulier autour de ce film) est limitée. L'aboutissement ultime de ce raisonnement est qu'une grande œuvre d'art prouve sa qualité en brillant hors contexte, en étant intemporelle.
Ces bases étant posées, il me parait clair qu'on ne tranchera pas aujourd'hui cette difficile question (à moins de penser que le forum Mad Movies soit capable de soudainement renvoyer tous les historiens de l'art des derniers millénaires à leurs chères études...), et ce n'est d'ailleurs pas le but. D'ailleurs je me contenterai de soulever quelques remarques que m'inspirent ces deux positions (surtout la première d'ailleurs) qui sont au final plus souvent complémentaires qu'opposées (car on peut se demander si le jugement hors contexte et l'analyse de l'oeuvre par rapport au contexte ne sont pas finalement deux domaines distincts).
Est il possible de réellement se (re)mettre dans un contexte? Je n'ai jamais vécu dans les années 70, par exemple: je suis donc tributaire de témoignages et de documents pour essayer de construire ce "contexte". Pour vous rendre compte de la difficulté de la chose, prenez une action importante que vous avez effectué ou une quelconque production plus ou moins artistique que vous avez réalisé (dissertation, article, œuvre d'art, message un peu long sur un forum internet...). Imaginez que dans 50 ans pour une raison quelconque, une personne de 25 ans tente d'analyser cet acte ou ce produit et se base principalement sur "le contexte" des années 2000 tel qu'il sera défini dans "le contexte de 2050" (ça va vous suivez?

En général, l'affirmation n'est pas aussi ambitieuse: en réponse à une personne qui trouve les effets spéciaux du King Kong de 1933 mauvais, on lui "demandera de remettre dans le contexte", c'est à dire de comparer avec quelques autres productions de la même époque. Et souvent il ne s'agit que de brosser à gros trait une époque donné (de manière un peu arbitraire) ou de donner une liste de films contemporains auquel comparer celui qui est concerné (pour en souligner son [anti]conformisme ou ses particularités).
Pour des questions un peu plus complexes on est obligé de se replonger dans la documentation (témoignages, interviews, travaux d'historiens, critiques de l'époque, etc...). Ca tombe bien, le cinéma est un art tout récent et la documentation semble abondante (on ne peut en dire autant de tous les autres arts). Après tout, reconstruire une réalité (ou au moins établir des faits) depuis des documents et des sources parcellaires est le lot de tous les historiens. Je suis sur que certains avanceront qu'il est tout à fait possible de reconstituer, au moins en partie, le contexte d'une époque (a fortiori pas si éloignée), je n'ai aucune réponse définitive à la question.
En se limitant strictement à l'histoire des films du point de vue du spectateur, même si la re-contextualisation est possible, peut on attendre de l'immense majorité des spectateurs une telle capacité? Même l'exemple basique du King Kong de 1933 n'est probablement applicable qu'a la communauté cinéphile, qui forme déjà une minorité. Est ce pour autant qu'une œuvre est incapable de toucher un large public? Bien sur que non, mais on peut rétorquer que le film est avant tout conçu pour le public de son époque (avec une exploitation en salle, video, TV dans les 2, 3 ans suivants la fabrication) et/ou sur des thèmes voulus universels (l'amour, pour citer le plus emblématique). Le passage au statut de classique serait obtenu à travers un mélange aléatoire de génie et de chance.
Le jugement des "non-initiés" est il à jeter aux orties pour autant? L'art étant avant tout une affaire de perception intime, n'est ce pas justement la capacité d'une œuvre à nous toucher, indépendamment d'un quelconque contexte, qui est importante?
Et bon là, je sais pas trop comment finir donc je vous laisse broder.
