Salut à vous amateurs de film de genre scandinave !!!
L'association Les Ancres Noires, spécialisée dans le polar sous toutes ses formes, est présente depuis 2005 au FESTIVAL DU FILM NORDIQUE,
http://www.festival-cinema-nordique.asso.fr/ , qui se tient chaque année à Rouen. Elle anime la section "polar" du Festival.
Durant la 19ème édition du FESTIVAL DU FILM NORDIQUE (15 au 26 mars 2006), Les Ancres Noires se sont associées à une très importante rétrospective consacrée ayant permis de découvrir plus d’une vingtaine de films criminels venus de Norvège, de Suède, de Finlande et du Danemark.
Les Ancres Noires ont proposé aux spectateurs du FESTIVAL DU FILM NORDIQUE, désireux d’approfondir cette découverte du cinéma criminel nordique, un nombre conséquent de textes inédits, parmi lesquels le suivant consacré à UN FLIC SUR LE TOIT de Bo Widerberg. Et vous pouvez retrouver la totalité des textes proposés par Les Ancres Noires depuis 2005 à l'adresse suivante :
http://www.lesancresnoires.com/festivalfilmnordique.htm . Et des conseils DVD à l'adresse suivante :
http://www.lesancresnoires.com/crimes_sur_dvdfestival.htm Un film de son temps. Le chef-d’œuvre, qu’est Un Flic sur le toit, tire sa force du fait de sa liaison étroite avec le contexte artistique et historique précis au sein duquel ce long métrage a été pensé et réalisé.
Tout d’abord, la compréhension de la forme esthétique d’ Un Flic sur le toit , ne pourra être complète que dans la mesure où l’on veut bien prendre en compte les évolutions du cinéma durant la première moitié des années 1970 et, plus particulièrement, celles spécifiques aux films dits de genre. On n’oubliera pas, en effet, que, en tant que film criminel, Un Flic sur le toit relève de cette catégorie cinématographique et en constitue, comme nous le verrons par la suite, un exemple des plus remarquables. Les registres filmiques, dans lesquels Bo Widerberg avait évolué précédemment s’appuyaient sur des outils d’expression cinématographique, a priori, plutôt éloignés de la grammaire scénaristique et des codes visuels propres aux films de genre. Et pourtant, ainsi que nous allons le voir, Un Flic sur le toit, tant dans ses composantes esthétiques que narratives, reflète une connaissance approfondie de la part de Bo Widerberg non seulement du domaine du ‘polar’ de la première moitié des années 70, mais aussi du ‘giallo’ ou encore du film catastrophe, autres déclinaisons, alors particulièrement en vogue, du film de genre.
Le choix d’un pareil registre cinématographique traduit la volonté du cinéaste de ‘fabriquer’ et de donner à voir aux spectateurs suédois un ‘pur’ film de genre, à même de procurer aux amateurs de cette forme d’expression cinématographique le lot attendu de sensations fortes. Par ce choix d’un registre populaire, Bo Widerberg prend donc le parti de créer une œuvre susceptible de rencontrer un large public au sein duquel il accédera, notamment, à une frange de spectateurs sans doute peu concernée, jusque-là, par les longs métrages de celui qui fut l’un des pères fondateurs de la nouvelle vague suédoise.
Or cette recherche par Bo Widerberg de la rencontre, via le film criminel, avec le plus large public, trouvera, là aussi, une explication si on se réfère au contexte socio-historique de la Suède de la première moitié des années 1970. Si le cinéaste maîtrise les formes et les codes du cinéma de genre, il est aussi, sans doute, conscient des potentialités idéologiques de cette branche cinématographique. En effet, la première incursion de Bo Widerberg dans l’univers du film policier est une démonstration saisissante de la capacité du cinéma de genre à accoucher d’œuvres signifiantes tant dans le domaine social que politique, et donc conçues par leurs créateurs pour permettre au spectateur-citoyen de nourrir sa réflexion à l’occasion des débats qui accompagnent les mutations fondamentales du corps social auquel il appartient.
Un film de genre polymorphe… Un Flic sur le toit est l’adaptation cinématographique du livre éponyme de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, qui constitue l’un des volumes de la série romanesque consacrée aux enquêtes du commissaire Martin Beck. La matière scénaristique du long métrage de Bo Widerberg l’inscrit donc dans une catégorie majeure du film de genre, à savoir celle du film criminel. On précisera que Un Flic sur le toitappartient, en outre, au domaine du film dit policier. Le cinéaste reste en effet fidèle au matériau romanesque initial et fait donc coïncider, pour l’essentiel, le point de vue de son long métrage, avec celui des forces de l’ordre et non pas du criminel ou des victimes. La figure du policier, à travers diverses incarnations allant du haut-fonctionnaire au simple agent en uniforme, est donc au centre de Un Flic sur le toit. Nous verrons, par la suite, que ce choix en matière de genre cinématographique est en liaison étroite avec le sous-texte politique et social du film.
La caméra de Bo Widerberg accompagne donc les forces de l’ordre dans leur travail d’enquête et de répression et donne, ainsi, à voir les étapes archétypales du déroulement de tout film policier, et attendues par l’amateur de ce genre de cinéma. On retrouve donc le lot de scènes consacrées au travail d’investigation, une fois le crime commis et découvert. Puis, les procédures d’enquête ayant permis d’identifier le meurtrier, viennent alors les séquences, elles aussi canoniques, décrivant les efforts, couronnés de succès, entrepris par Beck et ses hommes pour arrêter et mettre hors d’état de nuire le criminel.
Respectueux des attendus du genre policier dans la construction scénaristique de son long métrage, Bo Widerberg l’est tout autant pour ce qui est de la facture visuelle de son film, même si celle-ci peut, de prime abord, paraître relativement atypique pour un spectateur de 2005. En effet, le film criminel actuel se signale par un traitement esthétique stylisé et déréalisant, à l’instar, aux Etats-Unis, des œuvres de Michael Mann, ou, en France, d’Olivier Marchal, pour citer des exemples parmi les plus récents. L’amateur contemporain de polar pourra donc être frappé par le fait que Bo Widerberg ait opté pour une mise en forme esthétique se plaçant sous le signe d’une recherche quasi-constante de réalisme. Les partis pris de réalisation, comme la quasi-absence de musique, durant la majeure partie du film, ou bien encore de la photographie blafarde se contentant de restituer la lumière naturelle, peuvent surprendre l’amateur actuel de film criminel. De même le jeu des interprètes, visiblement marqué par une direction d’acteur placée sous le signe du refus permanent du spectaculaire, donne une tonalité d’une grande sobriété, pour ne pas dire austérité, détonnant avec celle que l’on s’attend à trouver dans un film policier à l’ère de Collateral et de 36 Quai des Orfèvres.
Pareils choix de mise en scène nous semblent devoir être interprétés comme une nouvelle confirmation de la volonté de Bo Widerberg de créer un film policier, conforme aux tendances esthétiques du moment. Rappelons, en effet, qu’au milieu de la décennie 70, la grammaire visuelle du film criminel a été redéfinie, quelques années auparavant, par William Friedkin avec la réalisation de French Connection en 1971. Par ce long métrage, William Friedkin, venu de l’école du documentaire, créait une liaison étroite et réussie entre film policier et réalisme visuel et définissait les caractéristiques majeures d’un style qui allait faire école un peu partout dans le monde. Or ce film a été vu par Bo Widerberg, et celui-ci, visiblement impressionné, n’a pas hésité à s’en réclamer en annonçant vouloir faire, avec Un Flic sur le toit, un pendant suédois à l’opus major de William Friedkin. Le film de Bo Widerberg répond donc, là aussi, aux attentes du spectateur de 1976, en épousant la conception esthétique dominante du genre.
La conception formelle de Un Flic sur le toit est marquée, cependant, par quelques entorses au parti-pris de réalisme qui en constitue la caractéristique majeure. Toujours soucieux de créer un film de genre efficace, Bo Widerberg va puiser des éléments de mise en scène dans d’autres branches du film criminel ou, même, du film de genre d’une façon plus transversale. Ainsi, la séquence initiale de la mise à mort du commissaire Nyman associe l’étrange, avec la saisissante réduction visuelle du tueur à une seule paire d’yeux se détachant dans une obscurité totale, et l’horrible, avec son explosion d’hémoglobine aussi soudaine que violente. Pareille combinaison n’est pas sans rappeler celle que les cinéastes italiens expérimentent depuis la fin des années 1960 dans le cadre du ‘giallo’, une approche rénovée du film criminel associant à ce dernier des éléments horrifiques. Ainsi, on se souviendra que Les Frissons de l’Angoisse de Dario Argento, l’un des chefs-d’œuvre du genre, sort en 1975, soit un an avant Un Flic sur le toit. Marchant sur les brisées du ‘giallo’, Bo Widerberg n’hésite pas à faire des emprunts à une autre catégorie du film de genre alors particulièrement prisée par le public, celle du ‘film catastrophe’. La Tour infernale de John Guillermin, œuvre emblématique en la matière, est, par exemple, sortie en 1974. La spectaculaire séquence du crash de l’hélicoptère au milieu de la foule stockholmoise, point d’orgue du long métrage de Bo Widerberg et qui fut à cette date, dit-on, la scène la plus coûteuse jamais tournée en Suède, rappelle immanquablement les déchaînements de violence hors normes dont sont systématiquement victimes les foules impuissantes dans les ‘films catastrophe’de la première moitié des années 1970.
Film criminel et politique. Fort de sa connaissance et de sa maîtrise des référents majeurs de l’univers du film de genre, tel qu’il se présente dans la première moitié des années 70, Bo Widerberg se donne donc les moyens de créer un objet cinématographique susceptible de capter l’attention d’un large public. Il est ainsi en mesure de transmettre au plus grand nombre son point de vue sur les questionnements essentiels que rencontre le corps social suédois à ce moment précis de son histoire. On ne manquera pas de rappeler, en effet, qu’avant de devenir metteur en scène, Bo Widerberg fut d’abord critique et théoricien du cinéma. En 1962, il publiait son ouvrage majeur Visionen i svensk film, dans lequel il définissait les exigences qui devaient, selon lui, présider à la création cinématographique, exigences qui insistaient notamment sur la responsabilité sociale et politique qui incombait au cinéaste. Il était, en effet, pour Bo Widerberg de toute première importance que le réalisateur fasse de ses films un moyen d’expression de ses propres opinions quant aux questions majeures concernant la société à laquelle il appartenait et au sein de laquelle il était amené à élaborer et à inscrire ses films. Toujours dans le même ouvrage, Bo Widerberg précisait ses attentes en la matière en ajoutant que les problèmes, auxquels s’intéressait le cinéaste devaient concerner la masse des citoyens suédois ordinaires, et notamment toucher à leurs conditions de travail ou de vie matérielle. Il témoignait, en cela, d’une orientation politique clairement marquée à gauche.
La conception du cinéma de Bo Widerberg est, donc, d’une nature telle que Un Flic sur le toit doit aussi être appréhendé comme un véhicule élaboré avec le plus grand soin et destiné à délivrer un discours fort, pour ne pas dire militant, sur les choix politiques et sociétaux majeurs qui se présentent à la société suédoise à partir de la première moitié de la décennie 70. La sortie sur les écrans nationaux de Un Flic sur le toit a lieu en 1976. Bo Widerberg met, donc, son long métrage à la disposition du public suédois au moment même où le royaume connaît l’un des bouleversements politiques les plus importants de son histoire contemporaine. Le début de la deuxième moitié des années 1970 voit, en effet, le parti social-démocrate, qui assurait le gouvernement du royaume sans discontinuer depuis 1932, être mis en minorité à la suite des élections législatives. Celui-là doit donc, pour la première fois en plus de quarante ans, abandonner le gouvernement de la Suède à une coalition de droite réunissant centristes, conservateurs et libéraux. Olof Palme, leader des sociaux-démocrates suédois et premier ministre doit alors céder la place au centriste Thorbjörn Fälldin.
L’arrivée au pouvoir d’une majorité orientée à droite dépasse, cependant, le simple renouvellement du personnel politique dirigeant le pays. Le résultat des élections de 1976 signifie, de manière beaucoup plus profonde pour l’évolution à venir de la Suède, le triomphe politique d’un courant idéologique qui, depuis plusieurs années, conteste de façon de plus en plus virulente les principes fondamentaux d’organisation de la société et de l’économie suédoises que les sociaux-démocrates ont définis, puis progressivement appliqués du milieu des années 1930 aux premières années de la décennie 70.
Folkhemmet social-démocrate contre Etat libéral. En 1976, voilà en effet plus de quarante ans que la vie sociale et économique nationale est organisée par les gouvernements sociaux-démocrates successifs selon les principes de la politique dite de la “maison commune”, désignée sous le nom suédois de folkhemmet. Pour les socialistes suédois des années 1930, et leurs successeurs des décennies suivantes, il s’agissait de réorganiser les structures socio-économiques du royaume, afin d’en faire la “maison commune” de tous les citoyens. Cette variante suédoise de l’Etat-providence impliquait, pour l’essentiel, la mise en application d’une “politique de bien-être”, selon la propre formule des sociaux-démocrates, qui visait à la mise en place d’une protection sociale des citoyens forte et à la réduction des inégalités au sein de la population suédoise. Le projet de folkhemmet devait ainsi permettre d’assurer au peuple suédois un “sentiment de sécurité”, tant en matière économique que sociale, sentiment que les sociaux-démocrates désignaient sous le nom de tryggheten.
Le volet social de cette “maison commune” fut mis en application à travers plusieurs trains de réformes majeures. Dès le milieu des années 1930, les sociaux-démocrates étaient à l’origine de l’adoption d’un système d’assurance-chômage volontaire subventionné par l’Etat. A la même période, ils entamaient le renforcement systématique du système de retraite, œuvre qu’ils allaient mener jusqu’aux années 1960. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les socialistes suédois initiaient la mise en place d’un régime général d’assurance maladie et permettaient la création d’un système d’allocations familiales. La généralisation à l’ensemble de la population suédoise de la prise en charge, par l’Etat, des dépenses de santé s’acheva au milieu des années 1950.
La mise en œuvre d’une pareille politique signifiait, logiquement, le développement d’une pression fiscale particulièrement forte afin de permettre à l’Etat d’entretenir un budget en progression constante. Les prélèvements fiscaux, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, concernaient en priorité les revenus moyens et supérieurs ainsi que les entreprises, tandis que des impôts spéciaux frappaient la fortune et les successions. Les conséquences fiscales de la politique de la folkhemmet constituèrent un premier point de contestation majeure au sein de la société suédoise. La remise en question d’une pression fiscale devenue pour beaucoup insupportable atteignit, justement, un point d’orgue au milieu des années 1970. En effet, c’est à cette période que des figures majeures du paysage culturel suédois prirent publiquement position contre la politique de l’impôt de l’Etat social-démocrate, à l’instar d’Astrid Lindgren ou bien encore d’Ingmar Bergman qui décida de s’exiler, selon sa propre formule, au printemps 1976, après avoir fait l’objet de poursuites pour fraude fiscale.
La dimension économique de la politique de la “maison commune” fut mise en application un peu plus tardivement, mais suscita elle aussi des réactions négatives de plus en plus exaspérées dans une partie de la société suédoise. Dès la fin des années 1960, sans remettre pour autant en cause la libre entreprise et le secteur privé, les sociaux-démocrates s’efforcèrent de donner à l’Etat un meilleur contrôle de la vie économique. Un ministère de l’Industrie fut ainsi créé en 1969. Une banque d’investissement d’Etat fut instituée en 1967 et, peu après, les entreprises sous contrôle de l’Etat furent regroupées dans un holding, A.B.Statsföretag. En 1975, les sociaux-démocrates décidèrent de pousser encore plus loin leur projet de démocratie économique en exposant un projet de loi visant à constituer des “fonds salariaux ”, ou löntargarfonder. Ces “fonds salariaux ”, nourris par des ponctions sur les bénéfices des entreprises devaient permettre aux travailleurs d’accéder à terme à la propriété collective des moyens de production. Ces mesures furent accueillies avec la plus grande hostilité par le monde patronal, ainsi que par les tenants politiques du libéralisme économique mais aussi une partie de la population. Les uns comme les autres craignaient une rupture radicale avec l’économie de marché. Le vote d’une loi relative à la participation des travailleurs à la gestion des entreprises, ou “loi de la cogestion”, ou medbestämmandelegan, en 1976, ne fit que renforcer l’hostilité d’une partie de la société suédoise à l’égard du projet de folkhemmet.
La première moitié de la décennie 70 voyaient donc se multiplier les annonces par les sociaux-démocrates d’un accroissement de l’intervention étatique au sein de la collectivité suédoise. Après en avoir fait l’essentiel et omniprésent garant de la sécurité sociale de la population, les socialistes semblaient vouloir maintenant étendre le champ des compétences de l’Etat au domaine économique en en faisant, là aussi, un intervenant majeur. Continuait à s’affirmer ainsi un camp idéologique et politique formés par les partisans de la construction d’un Etat comme principal ordonnateur de la vie collective, afin de garantir à l’ensemble du corps social suédois le “bien-être” et le “sentiment de sécurité” indispensables à la cohérence de celui-ci.
Cependant, face aux thuriféraires du folkhemmet, s’affirmait désormais un autre camp, antagoniste, qui pendant les premières années de la décennie 1970, connut une faveur croissante au sein de la population suédoise. S’y retrouvaient les mécontents déjà évoqués de la pression fiscale, ainsi que les entrepreneurs craignant une remise en question radicale de la liberté d’entreprendre. Mais aussi ceux qui considéraient, de façon plus générale, que le développement de l’Etat-providence s’accompagnait d’un envahissement bureaucratique menaçant d’envahir jusqu’aux derniers cercles de la vie privée et de pousser la volonté de protéger les citoyens jusqu’à un terme dangereux, c'est-à-dire y compris contre eux-mêmes. S’ajoutait à cette crainte une volonté de réaffirmer la notion de responsabilité individuelle, brimée selon eux par “l’esprit d’assistance”, ou understödstagaranda, développé par le folkhemmet. Se rattachant à la révolution conservatrice néo-libérale qui commençait à se faire jour dans d’autres pays occidentaux comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, cette tendance idéologique devait donc triompher avec les élections législatives de 1976.
Tel était donc le contenu et les principaux acteurs du débat politique, social et économique majeur qui agitait la Suède depuis la fin des années 1960 et qui prit une ampleur croissante durant les années 1970-1976. D’un côté les partisans de la continuation et du renforcement de la “maison commune”. De l’autre, les adeptes d’un arrêt du développement du folkhemmet et d’une réduction conséquente de l’intervention de l’Etat dans la vie collective suédoise. C’est dans ce contexte que Bo Widerberg pense et réalise son premier film criminel.
Affaires internes. Associant à chacun des épisodes narratifs de la trame policière de Un Flic sur le toit un sous-texte politique et social précisément pensé, Bo Widerberg fait donc de son premier film criminel un véhicule parfaitement élaboré pour, dans un premier temps, présenter les deux conceptions de l’Etat qui sont au cœur du débat qui agite alors la société suédoise et, par la suite, présenter les possibles, et catastrophiques, conséquences du triomphe de celle qui lui paraît être la plus nocive des deux.
La première partie du long métrage traite essentiellement du travail d’investigation entrepris par le commissaire Beck et son équipe à la suite de l’homicide constituant la scène inaugurale du film, et prend la forme, en terme de genre cinématographique, d’un classique film d’enquête. La construction scénaristique, soulignée par le travail de la mise en scène, ne tarde cependant pas à transformer l’archétypale quête policière du coupable, découlant d’un cas individuel d’homicide, en une investigation à la tonalité politique, et à la portée collective car mettant en lumière les questionnements que rencontre alors le corps social suédois.
L’affaire criminelle, qui est au cœur du scénario de Un Flic sur le toit, se singularise par le fait qu’elle est entièrement interne à la police suédoise. Victime et meurtrier sont tous deux des flics. De plus, les mobiles du crime initial, ainsi que des actes de violence qui seront commis par la suite, trouvent leur origine dans les agissements mêmes des forces de l’ordre, ou du moins dans ceux de certains de ses représentants. Grâce à ce ressort narratif, l’enquête menée par Beck et ses hommes à propos des actes, voire des méfaits, d’un certain nombre de flics prend donc, progressivement, la forme d’une investigation sur l’institution policière elle-même. Et, plus largement, le long métrage de Bo Widerberg peut ainsi, en bâtissant une fiction dont le cœur narratif est constitué par les dysfonctionnements de l’un des outils administratifs majeurs dont dispose l’Etat suédois afin d’assurer sa mission auprès de la population, produire un discours de portée plus générale sur la place et le rôle dudit Etat.
‘The good cop’... La mise en scène des investigations de Beck et de ses assistants est, d’abord, l’occasion pour Bo Widerberg de dessiner deux représentations antagonistes du policier. Cette mise en opposition entre deux figures archétypales du cinéma criminel, ‘bon flic’ d’une part, ‘méchant’ d’autre part, peut, de prime abord, s’apparenter à un jeu de conventions interne à l’art cinématographique. Mais, dans la perspective d’un discours plus global sur l’Etat, ces personnages, évoluant aux limites du cliché, deviennent, en fait, un moyen d’exposer deux conceptions non plus seulement du policier mais, d’une façon plus générale, du fonctionnaire.
A travers des protagonistes majeurs, comme Martin Beck ou bien encore son plus proche assistant Lennart Kollberg, mais aussi à l’aide de personnages d’importance secondaire et n’apparaissant que fugitivement durant le déroulement du film, se dessine le versant positif du métier de policier. Un Flic sur le toit démontre que la caractéristique essentielle du ‘bon flic’ réside dans la persistance, pour ne pas dire la résistance, de son humanité, et ce malgré la dureté, potentiellement déshumanisante, de la tâche sociale qui lui est attribuée. Pareille conception est suggérée, de façon fugitive, dès les premiers instants du long-métrage lorsque la caméra de Bo Widerberg nous montre un tout jeune policier pris de vomissements à la suite de la vision du cadavre égorgé de la première victime, baignant dans son sang à même le sol de sa chambre d’hôpital. Au jeune agent de police soulevé par la nausée s’oppose, dans la même scène, un autre policier en uniforme, nettement plus âgé et n’ayant pour seule réaction que la moquerie face à la réaction choquée du ‘bleu’, doublée d’une relative impassibilité face au corps de l’assassiné. Pareille représentation dessine, ainsi, une ligne de partage nette entre, d’une part, le policier encore capable de ressentir de l’horreur face à la violence et, d’autre part, celui chez qui la confrontation avec l’homicide ne suscite désormais plus aucune forme d’empathie.
La nécessaire préservation par les membres des forces de l’ordre de leur humanité n’est pas seulement affirmée à travers la mise en scène du travail quotidien du policier. Suivant avec une fidélité certaine la matière romanesque dont il s’inspire, Bo Widerberg introduit aussi, dans le déroulement de Un Flic sur le toit des scènes à caractère intimiste représentant différentes figures de flics, non plus dans le cadre professionnel, mais chez eux et en famille, du moins pour un certain nombre d’entre eux. C’est, sans doute, d’ailleurs à l’occasion de ces échappées de l’intrigue de l’espace public vers le cadre privé que le cinéaste souligne de la façon la plus spectaculaire l’opposition entre les deux figures de policiers.
On pense, en premier lieu, à la séquence mettant en scène Kollberg, le plus proche assistant de Beck dans son enquête, en compagnie de sa femme et de son enfant. Le simple fait de choisir de montrer un personnage de policier dans une telle situation permet déjà de suggérer, certes de façon potentiellement stéréotypée, qu’un flic est aussi un homme, un mari, un père. Mais le grand cinéaste qu’est Bo Widerberg s’avère capable de dépasser le cliché et de doter ainsi sa démonstration d’une force certaine. Le metteur en scène ne se contente pas, en effet, de suggérer que son personnage de policier est doté d’un affect, semblable à celui du plus grand nombre, car agi par l’amour marital ou paternel. Bo Widerberg ne manque pas de montrer de façon explicite, voire crue, que ce flic-là possède également un corps d’une humanité toute aussi manifeste. La caméra nous montre, ainsi, un Kollberg presque totalement nu, aux parties génitales visibles et exposées au regard du spectateur. Bo Widerberg n’hésite d’ailleurs pas à clore la séquence avec l’ébauche d’une scène de relation sexuelle entre Kollberg et son épouse. La démonstration de l’humanité de ce policier s’en trouve donc renforcée puisqu’elle ne se limite pas au domaine affectif mais inclut, aussi, la dimension charnelle. Enfin, poussant encore un peu plus loin la tonalité naturaliste de la séquence et démontrant de cette façon sa capacité d’innovation cinématographique, le metteur en scène campe quelques images, a priori singulières, dans lesquelles l’on voit Kollberg en train de nettoyer les fesses recouvertes d’excrément de son très jeune fils. Cette soudaine échappée de la caméra vers le bas corporel achève ainsi d’ancrer cette figure de policier du côté de l’humain le plus prosaïque, donc le plus banal…
‘The bad cop’... A cette première figure de flic qui est aussi un homme, et dont l’esprit et le corps sont présentés comme capable d’engendrer autre chose que des pensées ou des gestes de policier, Bo Widerberg oppose, au travers d’une seconde scène intimiste symétrique de la première, la représentation d’un agent des forces de l’ordre dont l’humanité a, quant à elle, été entièrement engloutie par sa fonction. Le personnage ainsi mis en scène est celui de Hult, collègue et comparse de l’inspecteur Nyman dont la mise à mort constitue la scène d’ouverture du film. Beck, à l’occasion d’une étape-clef de son enquête, rend visite au dit Hult à son domicile, alors que celui-ci profite, du moins en principe, de son jour de repos hebdomadaire. Cette autre incarnation du policier est le négatif parfait, au sens photographique du terme, de celle incarnée par Kollberg.
Les premières répliques de la séquence, à l’occasion du dialogue entre Beck et Hult, permettent d’apprendre que celui-ci vit seul. Veuf, sans enfants, il est ainsi immédiatement décrit comme privé de vie familiale. Sur la base de ces premières informations se trouve ainsi sous-entendu, pour le spectateur, un désert affectif plus global caractérisant l’existence personnelle de cette seconde figure de policier. Aux informations délivrées par la partie dialoguée de la séquence s’ajoutent, en parallèle, celles délivrées par les composantes visuelles de celle-là. Le spectateur a la surprise de constater que, bien qu’étant à son domicile et qui plus est de repos, Hult porte son uniforme d’agent de police. Après la solitude affective, une deuxième caractéristique essentielle vient donc le distinguer, de manière antagoniste, de Roenn. Si l’humanité de ce dernier ne faisait aucun doute, notamment parce qu’il possédait un corps d’homme, celle de Hult devient de plus en plus problématique à déterminer puisque son corps semble avoir disparu et, désormais, se confondre avec l’uniforme de policier, devenu une sorte de seconde peau, dont il n’est plus capable de se séparer. Cet effacement du corps, et son remplacement par l’attribut vestimentaire de la fonction de policier, viennent compléter le processus de déshumanisation en ajoutant à la suggestion du vide relationnel celle de la solitude sensuelle et sexuelle qui marque, vraisemblablement, l’existence du personnage. Les seuls gestes et actes dont ce corps là est capable sont désormais ceux du policier. Mais dans ces conditions, peut-on encore parler de corps ? Si l’on suit ainsi Bo Widerberg, la conclusion de la démonstration, restituée par l’image et le dialogue, est donc claire. Vivant comme amputé des caractéristiques affectives et corporelles qui fondent l’essence même de l’humain, Hult n’est donc plus tout à fait un homme…
Au terme de ces deux scènes, auxquelles font écho des notations plus éparses mais tout aussi significatives, Bo Widerberg pose donc l’existence de deux catégories de policiers : la première, incarnée notamment par Kollberg, est formée par ceux qui demeurent capables de faire coexister exigences de leur mission professionnelle et sociale et caractéristiques constitutives de leur humanité ; la seconde, représentée entre autres par Hult, témoigne de la destruction totale de l’humain chez certains policiers et de la réduction de leur existence à leur seule fonction d’agent des forces de l’ordre.
La définition de deux natures de policiers ne constitue, cependant, qu’un premier moment dans le développement du discours politique qui sous-tend l’intrigue criminelle de Un Flic sur le toit. Le cinéaste explore ensuite les rapports, eux aussi de natures radicalement différentes, que ‘bon’ et ‘mauvais’ flics entretiennent avec le corps social au sein duquel ils doivent assumer leur mission.
Etat dévorateur. Un Flic sur le toit affirme donc clairement que ceux d’entre les policiers, qui n’ont pas voulu ou pas pu conserver leur dimension humaine, finiront immanquablement par être à l’origine d’actions en totale contradiction avec les objectifs qui leurs sont assignés par la société au service de laquelle ils sont censés oeuvrer. Ne ressentant plus par lui-même, tant sur les plans psychologique que physique, ce qui est pourtant commun à la très grande majorité de la communauté de citoyens dont la protection lui a échu, ce type de membre des forces de l’ordre rompt par là même le lien avec le corps social. De ce fait étrangère au reste de la population, cette catégorie de policiers devient aveugle à la réalité sociale. Le souci de l’intérêt général ne peut donc plus être le déterminant fondamental de son action. Privé de celui-là, le travail de répression et son inévitable corollaire, à savoir l’exercice de la violence, parties intégrantes de la mission du policier, peuvent être l’occasion de dérives. Dérives ou bien encore bavures dont les plus graves se soldent par une inversion tragique du rôle du policier. Ce dernier, au lieu d’être un élément clef de la sécurité collective du corps social, devient désormais la première source de menace pour ceux-là mêmes qu’il doit protéger. Plus globalement, lorsque pareille évolution advient, c’est l’essence même de l’Etat tout entier qui est ainsi susceptible d’être pervertie. Le folkhemmet, pourvoyeur du ‘sentiment de sécurité’, ou tryggheten,exigible par tout citoyen suédois, risque alors de se métamorphoser en une superstructure devenue la principale génératrice de l’insécurité sociale.
Pareille crainte quant à l’évolution de l’Etat constitue, donc, le sous-texte essentiel de Un Flic sur le toit. La spirale criminelle, formant la colonne vertébrale narrative du film de Bo Widerberg, trouve, en effet, son origine dans le décès d’une femme diabétique - d’une citoyenne – au cours d’une arrestation et d’une détention illégitimes. A l’origine de cette mort on retrouve Nyman et Hult, tous deux représentants achevés, ainsi qu’on l’a vu, du versant obscur du métier de policier. Bâtir une fiction, traversée par la peur d’une métamorphose aussi désastreuse de l’Etat, dans la Suède du milieu des années 1970 ne peut, donc, se comprendre qu’en se référant au contexte idéologique de l’époque, et que nous avons évoqué précédemment. En dépeignant les catastrophiques conséquences de l’action de membres des forces de l’ordre ayant perdu tout lien, et donc toute compréhension du corps social dont ils relèvent, Bo Widerberg esquisse ainsi un acte d’accusation, de portée beaucoup plus générale, dirigé contre le projet étatique de la droite libérale suédoise. Projet qui semble, ainsi qu’on l’a déjà vu, alors remporter une audience croissante au sein de la population du royaume.
En effet, l’objectif majeur de la droite locale, semblable à celui de tous les autres mouvements libéraux occidentaux thuriféraires de la ‘révolution conservatrice’ qui se dessine alors dans l’ensemble des pays industrialisés, réside dans la diminution drastique du poids de l’Etat au sein de la société et dans la limitation de son action à quelques fonctions minimales. L’Etat-providence doit, dès lors, laisser place à l’Etat-gendarme. Or Un Flic sur le toit offre une vision catastrophée de ce projet politique. La conséquence, possible, la plus effrayante de ce désengagement potentiel de l’Etat, spectaculairement mise en évidence par Bo Widerberg, est l’apparition d’une distance croissante entre la structure étatique et le corps social dont il a la charge. Distance qui, le désengagement de l’Etat allant se renforçant, risque de se transformer en une rupture pure et simple… Dans ces conditions, l’Etat, que ce soit en ce qui concerne ses tâches de maintien de l’ordre évoquées dans Un Flic sur le toit ou bien dans le domaine social ou économique, devient dès lors incapable d’œuvrer pour le bien commun et, au terme d’une inversion totale de sa mission, finit par s’apparenter à une variante politique et contemporaine de l’antique Cronos dévorant ses propres enfants.
Le spectre de la guerre civile. Enfin, sans doute soucieux de donner à sa démonstration le plus grand poids possible, Bo Widerberg affirme avec Un Flic sur le toitque le projet libéral, en matière étatique, risque non seulement de se solder par une mise en danger individuelle du citoyen, mais aussi par une implosion totale de la société suédoise. Face à un Etat devenu agresseur, et non plus protecteur, le risque d’observer, au sein du corps social suédois, des formes radicales de contestation de celui-ci devient, inévitablement, élevé. Se dessine donc logiquement une autre, et catastrophique, perspective : celle de la guerre civile. Cette dernière sous-tend toute la seconde partie du film. L’identité du criminel ayant été découverte, succède alors à la phase de l’investigation, qui constituait le premier temps du film, celle de la traque du coupable afin de l’arrêter et de le soumettre à l’institution judiciaire. Cependant, ainsi qu’on l’a vu précédemment, Bo Widerberg opte, à ce moment de Un Flic sur le toit, pour des codes cinématographiques qui distancient, partiellement, son film du genre criminel ‘pur’ et qui rapprochent celui-ci d’autres avatars du film de genre comme le film catastrophe. Jouant ainsi avec les différentes grammaires visuelles du cinéma de genre, le cinéaste donne ainsi une dimension nouvelle à la dérive criminelle dont traite son long-métrage.
En effet, la violence homicide, qui ne revêtait originellement qu’un aspect strictement personnel et qui ne concernait qu’un nombre restreint de personnages, constitué par le triptyque archétypal agresseur-victime-enquêteur présent dans tout film criminel, s’étend alors à toute la collectivité. La construction scénaristique de Un Un Flic sur le toit aboutit, en effet, à la contamination, par la violence, de la société toute entière, et ce au terme d’un crescendo particulièrement spectaculaire. Bo Widerberg souligne visuellement ce basculement de l’individuel vers le collectif, entre autres, par une utilisation des espaces particulièrement signifiante. Le premier meurtre est commis à l’intérieur d’un espace clos et strictement délimité, en l’occurrence une chambre d’hôpital, occupée par la seule victime. Dans la deuxième partie du film, la violence criminelle se trouve inscrite dans un espace radicalement opposé. Le spectateur va, en effet, voir se succéder une série d’agressions perpétrée cette fois-ci en pleine rue, espace public par excellence. La narration est, qui plus est, transportée non pas dans une zone suburbaine et périphérique mais dans un quartier fortement résidentiel et visiblement central de Stockholm.
C’est, par ailleurs, à ce moment-là que l’assassin - qui n’avait jusqu’ici exercé sa violence homicide que contre un individu clairement identifié et précisément lié au décès de son épouse - s’en prend désormais à tous les policiers, de façon systématique. Se traduit ainsi une volonté de destruction de l’institution toute entière. Dès lors, la violence criminelle prend la forme d’un acte de nature terroriste et achève de se politiser. L’élaboration de cette métaphore cinématographique de la guerre civile, via le cadre du film criminel, va jusqu’aux types d’armes utilisés par l’agresseur. Bo Widerberg prend, en effet, bien soin, par le biais de dialogues entre ses personnages de policiers, d’identifier le fusil de l’assassin comme une authentique arme de guerre, tandis qu’il avait été établi que l’arme blanche utilisée à l’occasion de l’homicide inaugural était une baïonnette.
L’évocation de la possibilité du basculement de la Suède dans la guerre civile, comme éventuelle conséquence de l’instauration d’un Etat conforme aux canons libéraux, se déroule donc sur un mode fictif et métaphorique. Cependant, Bo Widerberg, par l’introduction fugitive mais parfaitement lisible d’un élément de réel dans sa narration, ne manque pas d’indiquer qu’une fracture radicale et génératrice de conflit entre l’Etat et la société suédoise est parfaitement vraisemblable car déjà existante. Durant la première partie de Un Flic sur le toit, le spectateur, suivant Beck dans son enquête, assiste à l’incarcération dans un poste de police stockholmois d’un groupe de jeunes gens, vraisemblablement étudiants et porteurs d’un violent discours ‘anti-flics’. Evidentes évocations de la contestation estudiantine, majoritairement d’extrême gauche, qui secoue l’ensemble des pays occidentaux depuis la fin des années 1960, ces figures rapidement entraperçues rappellent que certaines composantes du corps social ont déjà entamé ce processus de rupture d’avec l’Etat. Si celle-ci est donc déjà réellement existante, l’angoissante hypothèse d’une multiplication des fractures entre structure étatique et collectivité nationale n’en devient donc que plus vraisemblable.
Maîtrisant les exigences de l’univers du cinéma de genre tel qu’il se caractérise au cœur des années 1970, exploitant au maximum les potentialités socio-politiques de celui-ci, Bo Widerberg fait donc de Un Flic sur le toit un véhicule élaboré avec le plus grand soin et destiné à délivrer un discours fort sur les choix politiques et sociétaux majeurs qui se présentent à la société suédoise à ce moment de son histoire. A travers deux visions du ‘flic’ se développe ainsi, plus largement, un discours sur l’Etat, sa nature, son rôle et son action. Se dessine d’une part un Etat au service du citoyen car étroitement lié à ce dernier, qui forme ainsi l’écho cinématographique du folkhemmet. D’autre part, s’affirme la possible existence d’un Etat susceptible de détruire non seulement ses propres citoyens mais aussi la collectivité toute entière formée par ces derniers. Une pareille évocation constituant la préfiguration fictionnelle du modèle prôné par les forces politiques d’inspiration libérale.
Par sa dimension esthétique, comme par son contenu signifiant, Un Flic sur le toit s’ancre donc profondément dans son époque et constitue donc, pour reprendre la belle formule d’Antoine Thirion dans sa critique de Memories of murder de Bong Joon-Ho parue dans le numéro de juin 2004 des Cahiers du Cinéma, un « noir miroir » d’une possible et redoutée évolution du cours historique de la Suède.