CITATION(Starsky)
Quelqu'un aurait-il vu le Kapo de Pontecorvo?
Yep mais pour commenter, je spoile mais je ne vois pas comment faire autrement....
Pour rappel, en substance le passage croustillant du texte de Rivette en question (intitulé De l'abjection) ça donne à peu près ça : Lors du plan où Emmannuelle Riva se suicide en se jetant sur une barrière électrifiée, celui qui a décidé de faire un travelling avant sur le cadavre en prenant soin de clairement aligner sa main sur le coin de l'image, cet homme mérite le plus profond mépris.
Je dis à peu près ça, parce que je n'ai trouvé que le texte en anglais, donc je le retraduis en français et les traductions successives ont pu altérer un peu...
Kapo est donc un film de Gilles Pontecorvo narrant la tentative de survie d'une adolescente juive Edith, déportée dans un camp de travail pour femme. Pour assurer sa survie, elle va peu à peu perdre sa dignité en acceptant de devenir kapo, c'est à dire une prisonnière à la solde des allemands qui surveille les autres prisonniers
Le plan en question est à la fin d'une scène, le personnage d'Emmanuelle Riva, à bout de forces, et poursuivie par une kapo s'écroule sur cloture en fil barbelé electrifiée.Le travelling est le dernier plan de la scène, il commence sur cette valeur de cadre
pour arriver à celle là
Et après on part via un fondu à la scène suivante.
Je me dois de préciser deux choses concernant les raisons qui poussent Pontecorvo à montrer Riva tombant sur des barbelés :
_ la première, la plus pragmatique, c'est que le réalisateur a besoin d'établir le côté meurtrier de ces barbelés. Une autre scène utilisera la menace des barbelés puisqu'un soldat russe est contraint de rester debout toute une nuit à coté des barbelés (si il tombe il est electrocuté comme dans la scène avec Riva, s'il recule il est fusillé par un soldat). Mais surtout, tout l'enjeu du troisième tiers du film consiste à couper le courant des barbelés pour permettre une évasion.
_ Ensuite la fin de ce plan marque une étape importante dans le film, c'est la fin du second acte (et je serai tenté de dire que le film qui jusqu'à présent était assez fort va se barrer en couille). La mort du personnage de Riva ponctue la fin de l'évolution psychologique du personnage principale, Edith. Le personnage de Riva est le premier qui accueille Edith dans le camp, c'est le plus humain. Quand elle meurt, directement par la faute d'Edith, c'est la dernière parcelle de dignité humaine de l'héroine qui meurt avec elle.
En plus il faut bien voir qu'elle tombe sur les barbelés en trois plans. le premier super large où Riva arrive du fond du cadre pour tomber sur les barbelés à l'avant plan, un gros plan sur son visage, puis le fameux travelling en question.
Et c'est là, dessus que ça se discute, ce plan est il nécessaire, superflu, "abject" ou ce que vous voulez... Est il composé ? grave, comme tout le reste du film. Pontecorvo choisit clairement ce qu'il veut voir dans le cadre ou pas, ce qu'il veut mettre en avant, en fonction du plan qui précède et du plan qui suit. Bref, il fait ce qu'on appelle du cinéma quoi... Esthétique ? ça se défend, esthétique comme peuvent l'être les photos de Robert Capa. Le sujet peut être morbide sans qu'on puisse lui nier une certaine beauté. Mais est ce qu'il est esthétisant, est ce que sa fonction est de faire joli ? Moi je ne trouve pas. Vraiment pas. Est ce qu'il aurait pu faire sans ? Ben oui, mais le langage cinématographique est comme tout les autres. Si dans une phrase, tu coupes un mot ou tu le remplaces par un synonyme, le sens en est altéré. Pas nécessairement de beaucoup mais le sens n'en est pas le même. Au cinéma c'est tout pareil. Et Pontercorvo, lui, il a pas choisit un zoom ou un plan supplémentaire, il a choisit un travelling.
Alors la question à 100 balles (déposez le billet dans le premier camphrier venu, je récupèrerai), la réponse de Pontecorvo. Il a déja eu le droit à ce qu'on lui cite cet article en interview. Et pour autant que je me souvienne, il revendiquait ce travelling et répondait que réduire son film à ça, c'était n'importe quoi. L'interview doit être online mais je ne sais plus où... (non pas là...).
C'est assez agaçant de voir que les écrits de Rivette (et de Daney qui a surenchéri sur le sujet) sont plus présents dans les esprits que le film auquel il est fait référence (n'y vois pas une attaque hein, c'est juste que je déplore qu'il soit plus difficile de voir le film que de lire les attaques dont il fait l'objet). Ce n'est pas le chef d'oeuvre indispensable qu'est la Bataille d'Alger mais ça mérite vraiment une vision.