Remettons ce topic dans le droit chemin en essayant de developper la thematique : « Qu’est-ce qu’une critique ? Comment fonctionne la critique a la francaise ? Par rapport a un spectateur, qu’est-ce que le critique attend, espere, et exige d’un film ? »
Ca nous changera des interventions mongoloides des chauves-souris patentees de ce topic, du genre « Terminator est un mauvais film, Telerama 1983, LOL LOL LOL quels bande de nazes».
(j’en profite pour dire que c’est dommage que l’Archiviste ait ete kickban, ca aurait ete un reel plaisir de discuter de ce qui va suivre avec lui, mais bon).
La critique a la francaise ! On trouve differents points fixes
- L’art du bon mot, etre spirituel et n’etre pas juste
- La passion francaise d’etre a contre-courant
- Le mepris du groupe et la glorification de l’individu qui a raison CONTRE les autres.
- La haine de tout ce qui est populaire, de tout ce qui a du succes.
- La volonte de salir sur ce quoi il y a un consensus
- La tradition d’une representation de la realite fidele = L’ART DOIT REPRESENTER LA REALITE : haine de la fiction
I
LE BON MOTCa suffit pas de
se faire un film, il faut
se le faire avec style. En France, dans la plus pure tradition de la cour du Roi-Soleil, les courtisans doivent etinceler avec leur langue mielleuse (comme moi avec ma copine). Les critiques se doivent donc de rivaliser de formules assassines, d’aimables viperes drapees dans des mots. Des aspics joliment chantournes, des dagues d’ivoire finement ouvragees, a la lame suppurant de poison. La critique : c’est le cassage immediat, d’un revers neglige de poignet, les levres en pince a linge et le cœur vainqueur, triomphant, du bon droit, du bon gout, on execute un film, comme jadis on executait un toro : banderilles, flonflons, et la queue et les oreilles a la fin. Un film est un animal fini, lache libre dans la nature, sous le regard de millions de gens, et qui ne peut que parler pour lui-meme : tout ce qui a du, et devra etre dit, est contenu dans les images. Mais le critique a cet espace immense de juger les images et leur ordonnancement. Et ce regard du critique, bel œil qui est dans la tombe et qui regarde le film, a des envies d’assassinats, irritation et affirmation de personnalite vont de pair dans une sarabande depourvue de cœur, de sentiments, d’empathie : critique, puissance terrible, auguste froncement de sourcil, deux-trois mots pour fournir au film sa place (ou non !) dans le monde du cinema, ou le releguer dans les bas-fonds, au fond de l’abime de la production d’images, la basse-fosse.
Finalement, les critiques ont dans l’idee de faire
des formules qui durent plutot que de critiquer serieusement le film. Et au mepris du Godwin (je vous dis pas le nombre de films qui se sont fait traiter par la critique francaise de fascistes et de nazis !). C’est le cas de Kaganski et son « Amelie Petainiste ». L’idee est de preferer la spiritualite, le bon mot, a la justesse : ce qui doit briller, ce doit etre le
critique, pas le
film. On doit admirer sa prose, d’autant plus que son espace d’expression est limite. C’est ce que, quelque soit le jugement que l’on porte sur lui, Patrice Leconte combattait : le pouvoir de flinguer un film en quelques lignes, par l’art de la formule, l’arbitraire satisfait de celui qui a trouve le bon alliage de mots, l’asonance frappante.
II
L’ANTICONFORMISME EST UN CONFORMISME
Ou INDIVIDU LIBRE CONTRE MASSE IMBECILEIl y a quelque chose qui est incroyablement francais : le refus de se plier a la mode. Si tout le monde est d’accord pour juger positivement quelque chose, par pur pavlovisme certains Francais vont chier dessus.
« Si tout le monde aime, c’est que c’est de la merde ». C’est miserable, et pourtant c’est tellement vrai dans l’œil des gens.
Dans notre pays, la France (qu’en tant que Francais vivant a l’etranger j’aime beaucoup, mieux que beaucoup de Français d’ailleurs, mais de qui d’une certaine maniere j’attendrais et j’aimerais de l’amour en retour, non, beaucoup plus que de l’amour, de la sagesse !),
Il y a tellement de gens qui vomissent J.K. Rowling et Harry Potter
(debilite absolue), Le Seigneur des Anneaux
(debilite absolue), la Tektonik
(debilite absolue), non pour leur valeur intrinseque, mais simplement pour leur popularite… et sans y connaître rien du tout ! Juste a vue de nez, en jugeant selon leur popularite. Et ca n’epargne absolument pas le forum de Mad-Movies, qui est peuple de gens qui sont surs d’etre superieurs aux autres par leur jugement raffine : voyez les messages concernant
Bienvenue chez les Ch’tis, de la part de
ceux qui n’ont pas vu le film : de maniere quasiment unanime, ils dissertent sur la debilite profonde du Français moyen incapable de penser lui-meme, d’adorer tout ce que le Dieu Tele lui dit, et en viennent quasiment a invoquer ce pauvre film comme signe avant-coureur de la fin du monde. Et quelque part, ils se flattent d’echapper au phenomene.
En France, votre valeur est prouvee quand vous vous tenez a l’ecart du flux, et le mepriser avec affectation en vous croyant un homme independant. Simplification abusive qui permet les manipulations a contrario les plus fines !
Il n’y a rien de plus conformiste que le refus du conformisme, en France. C’est limite comme marcher sur un rateau.
Un exemple assez marrant : je suis sur que dans certains cercles huppes, avouer qu’on a aime Bienvenue chez les Ch’tis et ne pas montrer de mepris ostentatoire pour cette « œuvre populiste », c’est etre anticonformiste.
LE MEPRIS DU GROUPELe groupe a toujours tort. L’individu libere est seul eclaire. Ce qui donne toujours raison au critique CONTRE le public.
Et plus il y a consensus, plus le critique va s’acharner. Sourire goguenard de celui qui fait l’entendu : pour tout succes public, le critique francais lambda s’aboulera dans la salle avec un a priori negatif (du moins je me pose la question, a voir certaines critiques).
Je me demande s’il n’y a pas la haine du consensus en France. Le consensus (tout le monde se met d’accord) est percu comme dictatorial par essence : c’est l’uniformite, la grisaille et la decerebration. D’où un pays seme de coups d’eclats, de petits coups d’eclats individuels. (‘Tain j’ai vu en librairie un livre qui s’appelle
Contre Guernica, ou l’ecrivain crache sa haine de Picasso et de l’art contemporain a grands coup de « je hais », « je deteste » – ca fait parler mais c’est pathetique).
EYE OF THE BEHOLDERLes avis, c’est un peu comme les trous du cul, tout le monde en a un. Ca etonne les etrangers d’ailleurs : cette manie francaise de donner son avis sur tout. Pour eux c’est un apprentissage culturel important : la capacite a donner son avis immediatement, sur tout et n’importe quoi.
Ca se complique par des considerations quasiment cosmiques et societales : C’est l’Ere du Verseau : chacun cultive sa propre personnalite, la societe n’est plus que la somme d’individus. Les gens vont avoir tendance a voir le monde de leur point de vue empirique plutot que par de grandes ideologies genre communisme, fascisme, ou systemes religieux (qui leur dirait quoi penser). C’est particulierement vrai en France ou on s’attache visceralement a « penser independamment ».
Le « moi je » typiquement francais aboutit a une floraison de publications/blog/posts qui exposent les opinions des spectateurs. Et souvent, ces critiques sont negatives. Pourquoi ca ? Pourquoi si peu de personnes declarent aimer les choses ?
Pour diverses raisons :
- On a toujours moins de choses a dire quand on aime que lorsqu’on deteste.
- La dematerialisation des supports (Internet) et l’absence de veritable interlocuteur de chair en face degagent tout sentiment de retenue : sur le Net, je vais dire plus facilement que Spielberg est un sale nazi qu’en parlant avec quelqu’un.
- Il y a la jubilation de la destruction, du bon mot, comme dit plus haut.
III
LA TRADITION D’UNE REPRESENTATION FIDELE DE LA REALITERevenons au critique de cinema professionnel.
Il y a un veritable mepris pour la fiction dans la critique francaise.Et pourtant. Tout ca n’est pas nouveau. Il y a cette filiation de tous ces critiques, depuis des siecles : les jansenistes et les bigots condamnant le theatre comme immoral et dangereux, forcant les comediens a mener une vie de parias et les condamnant a la fosse commune, des contempteurs du roman comme expression litteraire, source d’amoralite, « poison collectif », des critiques d’art combattant les proportions de l’Odalisque d’Ingres, crachant sur les peintures du Salon des Refuses, du Realisme Socialiste ou Fasciste qui considere toute tentative d’abstraction ou de vision personnelle comme perversion et egarement des masses, … Autant d’exemples disparates et aux intentions diverses, mais qui montrent la formidable defiance envers la fiction qui a habite les societes, alors que les semiologues reconnaissent la fonction du mythe dans la structuration de la personnalite… La seule fiction etant autorisee etant bien souvent la Fiction officielle du Pouvoir (toute deviation est combattue severement).
Pourquoi diable le cinema entre tous les arts (musique, sculpture, peinture, et meme photo) est-il le seul auquel les critiques demandent de
refleter la realite, et meme basant toute leur appreciation sur la conformite ou non a ce reel ? A ce petit jeu,
la fiction est forcement perdante sur le documentaire, genre noble par excellence pour temoigner de la realite.
Par parenthese, c’est assez interessant de voir qu’a Cannes beaucoup de palmes d’interpretations pour les acteurs et actrices ont ete decernees ces dernieres annees a des non-professionnels : l’Emilie Duquenne (non-pro) de
Rosetta, le Pascal Duchesne (mongolien) du
Huitieme Jour, la Bjork (chanteuse sans formation d’actrice) de
Dancer in the Dark, les enfants japonais de
Nobody Knows, et les non-professionnels tires de la vraie vie
d’Entre les Murs. Les non-professionnels sont supposes etre plus frais, moins formates, plus spontanes et plus vrais que les acteurs professionnels (sans rien vouloir retrancher de la performance des primes ci-dessus, ceci dit). Cette idee de
vrai contre fiction est au centre des preoccupations des critiques francais. C’est une fois de plus la gueguerre Lumiere contre Melies, aussi passionante que Megadrive contre Super Nintendo (houla, sur cette allusion je fais mon age je crois).
LE RAPPORT AU REEL COMME CRITERELa verite comme critere : pas etonnant que tous les films qui relevent de la science-fiction aient ete aussi longtemps traites comme d’aimables plaisanteries, des divertissements pour gosses dont la seule valeur est les quelques enseignements qu’ils peuvent apporter sur NOTRE monde (ainsi, Matrix vu uniquement par le prisme de la guerre en Irak, comme chez Libe). Le seul moyen pour le critique francais de comprendre un film, c’est de le mesurer au reel – de lui trouver une resonnance avec le reel – si on peut pas en trouver, le film est considere debile – ou justement, la resonnance au reel est la debilite de la culture americaine (parce qu’a tous les coups, c’est un film americain).
C’est le fameux reproche : « ce film n’a d’autre ambition que de nous distraire » (peu ou prou le reproche standard brocarde avec passion par Desproges dans ces Chroniques de la Haine ordinaire). Un film sans message, sans vision, sans these : c’est de la merde. Ce qui a conduit des generations de critiques a dauber sur des films de pur divertissement.
LA FICTION, GENRE COUPABLE ET MANIPULATEURPourquoi on demande a l’Art de temoigner ? Et ca sert a quoi de temoigner ? A faire comprendre le reel. Voila la mission du cinema, selon les critiques francais : une mission didactique :
expliquer aux communs des mortels comment fonctionne la realite. Vous pensez bien que dans ces conditions tout film de divertissement de fiction ayant un grand succes ne peut etre qu’une abomination destinee a plonger les gens dans l’erreur.
La fiction se place du cote des emotions, est une gigantesque experimentation sur les emotions : c’est hyper dangereux de s’identifier a un assassin, un personnage immoral, plein de vices (Code Hays, Loi sur les Publications destinees a la jeunesse)… Vaut mieux s’identifier a quelqu’un d’une minorite, a ces personnes auxquelles on ne donne pas la parole…
L’Emotion c’est le contraire de la Raison (base de la Philosophie des Lumieres, eh oui, ca se reclame de loin). Finalement pour les critiques, un film devrait etre percu par le cortex, et non pas par le cœur. C’est l’intellectualisme a la francaise, a mon sens souvent ultra brouillon car base sur tout un tas de presupposes jamais formules mais qui font de la « raison » revendiquee une construction non pas objective mais obscure, personnelle, et de parti-pris.
TEMOIGNAGE ET VISIONDans un film, on doit trouver selon les critiques francais : un temoignage et une vision.
- un temoignage de la realite,
- une vision de l’auteur (une these).
C’est marrant cette affaire. Parce que les critiques demandent a la fois
une vision, donc une analyse subjective, et
un temoignage, qui releve de la rendition de la realite telle qu’elle est, avec le minimum d’intervention de la volonte (ideal de documentaire). C’est paradoxal !
Et la vision (par le critique) de la realite est reductrice et cliche au possible (cf. les extraits de la critique de la critique de Kaganski
d’Amelie Poulain : « Si Amelie avait ete noire, lesbienne, chomeuse et sans papier, Kaganski aurait adore le film »). Cf. aussi l’absurde reproche d’une critique disant qu’il n’y a pas de Noirs dans le
Conte de Noel de Desplechin ! (c’est vrai qu’il aurait pu foutre quelques Olmeques, le bougre…) !
LA GRILLE DE LECTUREC’est marrant de voir a quel point les critiques ont des oeilleres quand il s’agit de films etrangers.
Tout film americain ne pourra que parler que de l’administration Bush et de la Guerre en Irak ;
Tout film anglais a des resonnances sociales qui renvoient a la classe ouvriere et au Thatcherisme ;
Tout film iranien ne pourra que parler que des exactions du regime islamiste, etc.
C’est petri de bonnes intentions que le critique enferme (tue ?) un film dans une lecture qu’il n’aura pas forcement.
Je ne resiste pas au plaisir de vous citer la critique de Le Soleil se leve aussi, chronique dans Telerama :
« Le cineaste a beau s’en defendre (mollement mais on n’est jamais trop prudent quand on est cineste et qu’on vit en Chine), son film, comme le precedent 「Les Demons a ma porte」est une denonciation feroce de l’obscurantisme. Et une exaltation de ceux qui lui resistent au quotidien. S’y ajoute cette fois l’idee que l’outrance, deja en soi une revolte, est probablement la seule reponse que peut opposer l’art a la dictature. D’où ces mouvements de camera, volontairement voyants, cette musique volontairement obsedante »Ben voila quoi. On est dans la surinterpretation massive, la. Le film est enferme dans son role d’ « opposant au regime », au mepris meme des allegations du realisateur !! Chaque mouvement de camera devient une « resistance contre le regime », etc. Parmi ceux qui ont vu le film, quel damne trou du cul a pu voir ca a part le critique ? (au passage, c’est un bon film : allez voir ca plutot que
Mirrors, hein). Rien de tel dans le film ; juste la projection du critique dans le film, qui ne pourra jamais dire autre chose que ce que le critique avait decide de voir.
C’est tout l’art d’enferme le film dans une signification unique.
CONCLUSIONBon, c’est juste quelques idees jetees en vrac. Il y a aussi quelque chose que je trouve incroyable : c’est la place minuscule accorde a la critique d’un film dans les colonnes des magazines. En trois phrases, le sort en est jete, meme dans les magazines specialises (le sublime
Studio, le percutrant et integre
Premiere, et le vendu, infame et mediocre
Mad Movies

). C’est beaucoup trop court, et souvent on ne comprend meme pas pourquoi tel film est encense ou juge mauvais (faute de place !)
Voila ma perception, pour le moment, de la critique en France. Elle voudrait tellement etre objective, mais elle se retrouve au milieu de tout un tas de presupposes, atavismes, reflexes, corporatismes, qui fait que la veritable critique intelligente et parfaitement justifiee se fait rare au milieu des jugements a l’empotre-piece.
Gageons que le developpement de l’Internet et la publicisation des opinions des gens lambda forceront les critiques a se montrer plus professionnels et pourtant moins dogmatiques, plus proches de leur cœur.
Et pourquoi pas ?
(PS : ce post est une critique

)